125e anniversaire de l’UCI : de l’épique d’un sport de héros à la dimension d’un phénomène de société

Des dirigeants ouverts à la modernité

Pendant presqu’un siècle, le cyclisme a tiré une grande partie de sa popularité de son caractère épique, avec ses héros, leurs triomphes et leurs drames. Son formidable développement et son énorme succès ont d’ailleurs largement bénéficié de l’équilibre parfait entre tous les éléments de cette dynamique : la sublimation de la performance humaine – avec ses sacrifices, ses efforts et sa résilience – et la ritualité de la joie et de la gloire réservées au vainqueur jouxtant le profond respect dû au battu et à sa déception.

Le cyclisme a longtemps été un sport simple et dur, qui a su bâtir sa propre histoire et surtout son incomparable relation avec des millions de passionnés, séduits par la force du grand spectacle qu’il propose sur ses routes de souffrance, mais aussi de fête.

Dans ce cadre oscillant entre épopée et drame, l’Union Cycliste Internationale (UCI) a assuré dès sa naissance en 1900 les conditions indispensables au développement de ce processus, avec l’attention et la capacité d’adaptation requises dans son rôle d’organisation faîtière de l’univers du vélo. Une responsabilité énorme, fondée sur un engagement sans répit à travers les nombreux bouleversements qui en ont accompagné la trajectoire. Face à sa mission principale consistant à promouvoir les valeurs et les spécificités du cyclisme dans toutes leurs facettes, l’UCI est ainsi rapidement devenue l’exécutrice d’une tâche ambitieuse et complexe : celle de garantir la transformation constante d’un monde voué à évoluer, mais décidé à tout mettre en œuvre pour sauvegarder les racines et les traditions de son immense patrimoine.

Le bilan de cet effort est réjouissant puisqu’aujourd’hui encore, que ce soit sur les Classiques d’un jour ou les courses par étapes, la liturgie de tout événement cycliste reste inchangée au fil des décennies : une scène ouverte sur laquelle les acteurs et les récits sont chaque fois différents sans pour autant que sa nature et son esprit n’en soient affectés.

Des dirigeants ouverts à la modernité

Fort d’un enracinement historique aussi profond, on aurait pu croire que la posture spontanée du cyclisme serait toujours plutôt conservatrice face aux défis imposés par le temps. Pourtant, bien au contraire, ses dirigeants ont souvent montré un sens de l’innovation remarquable qui les a menés à toujours saisir les opportunités d’évolution, jusqu’à souvent se distinguer par leur capacité de lecture des nouvelles tendances émergeant au sein de la société.

Le premier pas vers la modernité a certainement été constitué par l’élargissement progressif de l’éventail des disciplines d’un sport qui jusqu’en 1960 environ ne proposait que deux options : la route et la piste, qui avaient déjà parcouru ensemble un sacré chemin depuis la création du mouvement olympique, au sein duquel le cyclisme a joué un rôle fondamental dès la première édition des Jeux, organisés à Athènes en 1896.

La vision des dirigeants qui se succédèrent à la tête de l’UCI contribua à l’intégration de nombreuses autres disciplines : le cyclisme en salle, le cyclo-cross, le BMX Racing, le trial, le mountain bike, le BMX Freestyle, et plus récemment le cyclisme esport, le gravel et le snow bike. Cet élan vers la nouveauté et la promotion de nouveaux principes comme le respect de l’environnement, la mobilité douce au service de la qualité de vie qui commençaient à émerger dans la société du début des années 1980 a évidemment engendré des débats animés dans un milieu cycliste souvent encore marqué par un certain conservatisme. Les discussions provoquées par les évolutions du programme olympique avec la réduction du nombre d’épreuves traditionnelles de la piste au bénéfice de l’intégration du BMX Racing ne sont que l’exemple le plus connu des débats qui ont eu lieu parmi les dirigeants du cyclisme.

C’est par le biais du secteur de la compétition – malgré les années difficiles marquées par ses efforts dans la lutte contre le dopage, finalement récompensés par un retour à une situation assainie – que l’UCI a franchi la frontière de la véritable révolution sociale à laquelle le cyclisme s’apprêtait à participer.

En réalité, au-delà des grandes difficultés qu’une telle démarche longue et complexe a comportées – notamment au niveau réglementaire, événementiel mais également politique, avec la modification sensible de la géographie planétaire du cyclisme et par conséquent de l’influence des membres de la nouvelle famille élargie, forte aujourd’hui de 205 Fédérations Nationales affiliées –, l’impact de cette modernisation tout à fait extraordinaire aura finalement permis au vélo de retrouver sa place au cœur de l’intérêt général des sociétés.

La souffrance du chemin vers la renaissance

Le cyclisme de compétition a été capable de revenir de loin. C’est le moins que l’on puisse dire en repensant aux années de crise qu’il a dû vivre durant cette période ternies par le fléau du dopage. Affaibli par les doutes, les scandales et une croissante intolérance collective, le cyclisme a vacillé. Dans plusieurs pays et dans certains cercles politiques et journalistiques, sa crédibilité avait été très lourdement atteinte.

Il aura fallu travailler en profondeur pour regagner la confiance des observateurs et de tous les passionnés qui se sentaient trahis. L’UCI a été pionnière en matière de lutte contre le dopage : avec notamment l’introduction des contrôles de santé et des suspensions temporaires des athlètes, l’UCI a tracé le chemin qui permettra ensuite d’assainir progressivement la situation. Lorsque le passeport biologique a été introduit dans l’arsenal en perfectionnement constant de lutte contre le dopage, l’UCI, en héritage de cette période extrêmement difficile, a remis en effet cet outil précieux dans les mains d’une communauté du sport mondial fortement ébranlée par l’ampleur qu’avait pris le phénomène du dopage et les incertitudes qu’il faisait peser sur son avenir.

Une contribution croissante à l’amélioration de la qualité de vie

A la suite de cet épisode, le cyclisme moderne s’est montré capable d’assumer le rôle qu’il souhaitait jouer dans une société de plus en plus sensible aux enjeux du développement durable. Une fois de plus, on reconnaîtra dans ce changement d’orientation la volonté de l’institution de contribuer à une évolution sociétale nécessaire dans un contexte où la qualité de vie est plus que jamais au centre des préoccupations.

Le cyclisme a donc encore su se moderniser, s’ouvrant toujours davantage aux personnes pratiquant le cyclisme comme loisir, dont le nombre s’est multiplié dans les villes du monde entier, à la faveur des déplacements du quotidien, de randonnées cyclosportives, mais aussi de rassemblements plus spontanés d’enfants, adolescents et jeunes adultes dans les espaces urbains que le vélo s’appropriait de plus en plus. Cet enthousiasme contagieux a rejoint celui des consommateurs traditionnels des images de télévision ou des émotions fugaces des passages des coureurs sur les routes des Grands Tours et des Classiques. Le résultat de cette alchimie encore imprévisible il y à peine une trentaine d’années, est le retour du cyclisme de compétition au sommet de la pyramide des préférences du grand public.

L’UCI a contribué à ce mouvement au travers de différentes initiatives encourageant la grande vague mondiale du cyclisme de masse : la création d’un calendrier international et la multiplication des événements à participation de masse ont stimulé les efforts de très nombreuses administrations publiques qui ont perçu dans cette évolution de la passion pour le vélo une clé pour améliorer le bien-être de leur population au travers d’une mobilité durable. En ce sens, la série UCI Golden Bike ou le label UCI Bike City ont concrètement contribué à consolider cette nouvelle approche du cyclisme comme véritable philosophie de vie.

Le vélo, un sport et une activité aujourd’hui plus populaires que jamais

Aujourd’hui le cyclisme est redevenu dans l’imaginaire collectif simplement « le vélo ». Tout le monde pédale : pour échapper aux embouteillages dans sa propre ville, pour être physiquement actif en plein air, pour affronter ses amis dans une course amicale à la performance sur les cols de légende des Grands Tours. Sur les routes ou dans les vélodromes, monter sur un vélo est aujourd’hui socialement valorisé dans une société très attentive aux conséquences de nos comportements individuels.

Symbole par excellence d’une façon d’envisager la vie, la bicyclette a finalement atteint une considération qu’elle n’aurait jamais osé espérer conquérir il y a une cinquantaine d’années : les escapades de luxe en petits groupes sont depuis quelques années déjà à la une des catalogues touristiques, les anciens champions qui escortent les héros modernes du Tourmalet ou du Stelvio ne se comptent plus, et le vélo réclame de plus en plus avec force et consentement des pistes privilégiées et sécurisées au cœur des villes. Le cyclisme est revenu en grâce après avoir affronté ses chimères et vit maintenant sa noblesse retrouvée.

Dans cette évolution réjouissante, l’UCI a su jouer un rôle de tout premier plan : parce qu’elle a eu le mérite de comprendre les nouveaux besoins sociaux et parce qu’elle a eu le courage de s’appuyer sur une histoire essentiellement faite de gloire et de légende pour se mettre au service d’une vision progressiste et responsable du futur.

Plus que jamais, le cyclisme que l’on connaît et que l’on aime depuis toujours, le cyclisme des grandes courses et des grands champions, fait vibrer des millions de spectateurs aux quatre coins de la planète. Et il assume aujourd’hui une nouvelle dimension : celle d’authentique phénomène social, inclusif, et durable.

Après 125 ans d’un parcours souvent tortueux accompli avec l’UCI, le vélo peut se réjouir d’avoir su garder l’essentiel tout en s’étant constamment réinventé.