125e anniversaire de l’UCI : une institution en route vers la cohérence et l’universel

En 125 ans, l’UCI a traversé des hauts, des bas.

C’est toujours un exercice délicat que de se retourner sur plus d’un siècle d’histoire et de tenter de discerner un chemin, une destinée, un sens. En 125 ans, l’UCI a traversé des hauts, des bas, des déserts, des mutations sportives et technologiques, des crises politiques et sanitaires et, à l’image du sport qu’elle dirige, a emprunté des routes escarpées et négocié des virages relevés. On peut cependant remarquer quelques paradoxes apparents qui en disent long sur un parcours méritant sans nul doute d’être classé hors-catégorie.

Il pourrait paraître paradoxal par exemple de voir ce sport qui, depuis sa création, en appelle à l’amélioration de l’état des routes et de leurs revêtements, organiser, 122 ans après la création de son instance internationale, des Championnats du Monde UCI de gravel, sur des sentiers caillouteux qui rappellent les chemins d’infortune des pionniers de la route du début du siècle dernier. À croire que les plus jeunes pratiquants du cyclisme ressentent une forme de nostalgie envers leurs glorieux aînés et qu’ils aspirent, eux aussi, à devenir des forçats volontaires.

Il est tout aussi intéressant de tracer une grande boucle entre la création de l’UCI en 1900, en marge des Championnats du Monde UCI de cyclisme sur piste – seule discipline ayant alors ses Mondiaux – de Paris et les Jeux Olympiques 2024 dans la même ville, où le cyclisme a fait preuve d’une unité et d’une maturité inédites, comme s’il était parvenu à l’âge de raison. Cette boucle bouclée dévoile un peu la voie suivie depuis un siècle un quart… Vaille que vaille, en tentant de garder un cap sur le long fleuve mouvementé de son existence, l’UCI a fini par apaiser les tempêtes, à réunir des intérêts divergents, à rassembler dans une même cellule familiale des disciplines disparates et parfois rivales, et faire d’un grand bric-à-brac un ensemble cohérent. Plus encore, ces 125 ans ont démontré que le cyclisme, sans cesser d’évoluer, est resté lui-même et continue d’être inspiré par les mêmes valeurs : l’effort et le dépassement de soi, bien sûr, mais aussi l’amour de la nouveauté dans le respect de la tradition, l’attrait pour la technologie dans le souci de la simplicité, le respect affectueux du passé et un appétit aiguisé pour l’avenir. C’est tout cela que l’UCI tente depuis 1900 d’incarner et d’aiguiller.

S’il est vrai que le dialogue, la confrontation des points de vue, les conflits parfois, font avancer les choses, alors l’UCI est née sous une bonne étoile. C’est en effet d’un affrontement autant culturel que philosophique qu’elle est issue en 1900, rompant avec l’International Cycling Association dominée par les « anglo-saxons » et arc-boutée sur un amateurisme pur et dur. Le dialogue souvent musclé entre amateurisme et professionnalisme sera d’ailleurs le premier axe fondateur de l’UCI. Tantôt les « pros » ont pris la main, comme en 1927, lorsqu’Alfredo Binda remporte sur le Nürburgring, en Allemagne, le premier Championnat du Monde sur route professionnel souhaité par l’UCI, mais redouté par les organisateurs de courses. Tantôt l’amateurisme a repris le dessus, comme en 1965, lorsque le Comité International Olympique, alors sanctuaire du sport désintéressé, a imposé la scission entre Fédération Internationale Amateur de Cyclisme (FIAC) et Fédération Internationale du Cyclisme Professionnel (FICP), l’UCI devenant un simple bureau de liaison entre les deux mondes. Et puis, en 1993, épaulé par le Président du CIO Juan-Antonio Samaranch, Hein Verbruggen a rassemblé de nouveau ces deux branches de fait inséparables de la famille cycliste sous le même toit. Dès lors, la mission de l’institution est devenue plus claire : unifier et harmoniser, tout en accueillant à bras ouverts les nouveaux nés de la couvée cycliste.

Et cette progéniture fut nombreuse. En 1921 se déroulaient les premiers Championnats du Monde UCI sur route amateurs. En 1930 avaient lieu pour la première fois des Championnats du Monde UCI de cyclisme en salle, à Leipzig, en Allemagne. En 1950 étaient organisés à Charenton-le-Pont, près de Paris, les premiers Mondiaux UCI de cyclo-cross, une discipline qui bénéficie depuis quelques années d’un net regain d’intérêt. En 1958, le cyclisme féminin était enfin convié à la table familiale, et nous y reviendrons… En 1985 – quarante ans déjà – le BMX Racing intégrait le giron de l’UCI lors de Championnats du Monde UCI organisés en Italie malgré une brouille fédérale réglée six ans plus tard. Deux ans plus tard, le trial avait ses Mondiaux à Berga (Espagne). En 1990, c’est le mountain bike qui apportait à son tour du sang neuf et de la diversité. La famille n’a cessé de s’agrandir depuis, avec des Mondiaux UCI de contre-la-montre sur route en 1994, de paracyclisme en 2006, de BMX Freestyle et d’Urban Cycling en 2017 – année de l’arrivée à la tête de l’UCI de son actuel Président David Lappartient –, de cyclisme esport en 2020, de gravel en 2022 et enfin de snow bike en 2024. Sur la piste également, le programme s’est étoffé avec, notamment, les intégrations aux côtés de la vitesse, de la poursuite et de la course aux points en 1993, du keirin féminin et du scratch en 2002, de l’omnium en 2007 (masculin) et 2009 (féminin), de la Madison féminine en 2017 et des courses à l’élimination en 2021.

Aujourd’hui, l’ensemble du programme du cyclisme mondial est enfin unifié et paritaire (hommes-femmes), ce qui a permis une première réunion de famille en 2023 à Glasgow, où la presque totalité des disciplines du vélo ont pu disputer leurs Championnats du Monde UCI en même temps et au même endroit. Cette communion, imaginée et voulue par David Lappartient, se renouvellera tous les quatre ans en année préolympique.

La famille cycliste est riche de sa diversité, mais aussi de ses dissensions et, là encore, depuis 125 ans, ses membres se sont parfois déchirés, notamment sur route, où la tradition d’épreuves plus que centenaires s’est parfois heurtée aux volontés d’harmonisation et de simplification portées par l’UCI. Force est de constater que depuis la Coupe du Monde UCI de cyclisme sur route créée en 1989 par Hein Verbruggen et qui a largement contribué à l’internationalisation de la discipline, les tensions parfois vives se sont apaisées et que l’UCI ProTour, créé en 2005, et plus encore l’UCI WorldTour, en place depuis 2011, semblent faire l’unanimité. Depuis 2016, l’UCI Women’s World Tour accompagne lui aussi l’ascension irrésistible du cyclisme sur route chez les femmes. C’est peut-être le dernier chantier à mener à son terme pour parvenir à l’égalité parfaite souhaitée par toutes et tous.

Toute famille a ses crises, et le cyclisme n’a certes pas été épargné en 125 ans. Le dopage a causé des ravages dans l’ensemble du monde sportif, mais le cyclisme, plus exposé, a été parmi les sports les plus touchés. Il y allait de sa survie, et l’UCI, en dépit des critiques, a su faire œuvre de pionnière en réagissant et en mettant en place des outils performants pour combattre les tricheurs, mais aussi pour restaurer l’image du vélo. Elle a été ainsi la première à externaliser la lutte contre le dopage avec la création en 2008 de la Fondation Antidopage du Cyclisme (CADF), avant de déléguer ses activités opérationnelles antidopage à l’International Testing Agency (ITA) en 2021.

Cette même année 2008, l’instante dirigeante du cyclisme faisait encore office de pionnière en instaurant le passeport biologique. L’imagination des tricheurs s’avérant sans limites, c’est la fraude technologique que l’UCI combattait ensuite vigoureusement en mettant en place à partir de 2016 une politique de grande ampleur, renforcée dès 2018, pour endiguer ce phénomène.

Avec la concorde entre amateurs et professionnels et la féminisation du sport, une autre dynamique frappante des 125 ans d’histoire de l’UCI est l’internationalisation du cyclisme. Alors que cinq Fédérations Nationales étaient à l’origine de la création de l’institution en 1900, elles sont aujourd’hui 205, regroupées dans cinq Confédérations Continentales. L’UCI met également en place des compétitions sur l’ensemble de la planète, et l’organisation des Championnats du Monde Route UCI à Kigali en 2025, sous l’impulsion de David Lappartient, qui souhaitait que l’événement annuel phare de l’UCI se déroule en Afrique pour la première fois cette année-là, est l’aboutissement de cette ouverture au monde. Il est également à noter que 48 nations ont remporté des médailles mondiales sur piste et 34 sur route depuis la création des Championnats du Monde UCI sur ces deux terrains.

Il fallait bien une maison commune à toute cette grande famille et ce fut chose faite en 2002 lorsque le Centre Mondial du Cyclisme UCI ouvrit ses portes à Aigle pour devenir le siège de l’UCI, mais aussi un lieu de compétition, de formation, d’entraînement, de perfectionnement et de promotion du sport pour tous les acteurs et les actrices d’un sport jeune de 125 ans et des poussières.