"Je ne sens plus mes pieds." Vincenzo Nibali pouvait à peine parler lorsqu'il s'est réfugié dans le bus de son équipe Astana, le 17 mars 2013, après seulement 117 km sur la 104e édition de Milano-Sanremo. Le champion italien a disputé la Primavera onze fois dans sa carrière ; il s'est même imposé en 2018 après une performance magistrale sur le Poggio. Mais l'édition 2013 du premier Monument du printemps restera comme l'une des plus éprouvantes pour ses participants.
Depuis sa première édition, remportée par le Français Lucien Petit-Breton sous la pluie en avril 1907, seules les deux Guerres Mondiales étaient parvenues à stopper Milano-Sanremo (pas de course en 1916, 1944 et 1945), jusqu'à ce que la pandémie de Covid-19 empêche l'organisateur RCS Sport de tenir son rendez-vous ce samedi. Mais la Primavera, premier Monument de la saison, n'est pas à l'abri de conditions hivernales telles que les chutes de neige et les températures glaciales qui ont frigorifié le peloton en route vers Sanremo il y sept ans. C'était trois ans avant l'introduction du Protocole en cas de conditions météorologiques extrêmes par l'UCI.
Quatre ans après sa victoire historique sur le Lungomare Italo Calvino, Mark Cavendish avait résumé la journée à sa façon, s'exclamant "P... de froid !"
Jusqu'ici, tout va bien…
Les regards des 200 participants étaient aussi sombres que le ciel au-dessus de la Piazza del Duomo, détrempée, où ils s'étaient réunis pour le départ de Milan. Parmi eux, Songezo Jim (MTN-Qhubeka) premier coureur sud-africain noir à participer à un Monument. Un premier événement dans une journée folle, entrée depuis dans l'histoire du cyclisme pour l'Afrique et pour le monde entier.
Les prévisions météo menaçantes n'ont pas empêché le peloton de se lancer dans les plaines lombardes, et un groupe de courageux de lancer une échappée qu'ils envisageaient comme une poursuite de près de 300 km derrière la gloire. Les jeunes Italiens Diego Rosa (qui courait alors sous les couleurs d'Androni Giocattoli) et Filippo Fortin (Bardiani-CSF) étaient accompagnés par leur compatriote plus expérimenté Matteo Montaguti (AG2R La Mondiale) et trois autres solides baroudeurs : l'Espagnol Pablo Lastras (Movistar Team), le Danois Lars Ytting Bak (Lotto Belisol) et le Russe Maxim Belkov (Team Katusha).
Les règles non écrites de Milano-Sanremo ont prévalu dans la première partie de la course : avec tant de kilomètres à parcourir à travers la Lombardie, le Piémont et le long de la côte ligure, l'écart s'est rapidement envolé, dépassant les 10 minutes en moins de 30 km. Jusqu'ici, tout allait bien...
Mais pendant que les attaquants tenaient un bon rythme en direction du sud et du Passo del Turchino, les organisateurs avançaient vers une toute autre difficulté : la neige attendait les échappés et le peloton dans cette première ascension du jour (km 142), remettant en cause la sécurité des coureurs... La direction avait dû réagir rapidement, suspendant la course après 117 km pour mettre en place un transfert en bus vers Arenzano.
Cancellara : “Nous sommes tous des vainqueurs”
Enlevez une cinquantaine de kilomètres à la Primavera et elle redevient une course comme les autres ? Certainement pas ce jour-là. Les coureurs avaient peut-être échappé au Turchino (et à l'ascension de La Manie), mais ce Milano-Sanremo n'en est pas moins resté un calvaire en raison de terribles conditions climatiques.
Atteindre le point de ralliement à Ovada était un défi en soi. Vincenzo Nibali (Astana) et Mark Cavendish (Omega Pharma-Quick Step) n'étaient pas les seuls à souffrir du froid. Certains Directeurs Sportifs ont rapporté que des coureurs pleuraient sur leur vélo avant que tout le monde ne monte dans les bus aussi vite que possible pour se réchauffer sous la douche, prendre une boisson chaude, essayer de sécher ses vêtements et retirer les blocs de glace qui s'étaient formés sur leurs casques.
La course a repris en début d'après-midi et, avec 130 km restant à parcourir dans le froid vers Sanremo, la journée devait sourire aux coureurs les plus résistants. Incapable de se réchauffer, Nibali abandonnait sur le Capo Berta, à 45 km de l'arrivée. Les échappés ont été repris au pied de la Cipressa, laissant place à une offensive des experts des Classiques pavées Sylvain Chavanel (Omega Pharma-Quick Step) et Jurgen Roelandts (Lotto Belisol).
Le Français, habitué des offensives dans le final vers Sanremo, est parti avec Ian Stannard (Team Sky) sur le Poggio. Ils ont été rejoints par un quatuor de choix : Fabian Cancellara (RadioShack-Leopard), Peter Sagan (Cannondale), Luca Paolini (Katusha) et Gerald Ciolek (MTN-Qhubeka). Taylor Phinney (BMC Racing Team) était juste derrière eux pour la plongée vers l'arrivée... Et Ciolek a dominé de peu le sprint devant Sagan et Cancellara pour offrir à son équipe africaine sa première victoire dans un Monument.
"On a eu des conditions terribles et je pleurais presque lorsque je me suis assis dans le bus ; mais à l'arrivée c'est un grand succès pour moi et pour mon équipe", a commenté Ciolek.
Souffrant du froid, son coéquipier Songezo Jim a quant à lui abandonné à 50 km de l'arrivée. Admettant avoir traversé des phases durant lesquelles il se demandait pourquoi il était là, le coureur avait conclu : "Mais ensuite, je me suis dit que c'était ce dont j'avais rêvé. Si je veux être professionnel en Europe, je dois endurer des journées comme celle-ci. Le fait que Gerald gagne, c'est vraiment extraordinaire. J'ai de la peine à réaliser que j'ai fait partie de cette histoire."
Quant à Cancellara, il était d'abord "frustré" de ne pas avoir décroché la victoire... "Mais au final, nous sommes tous des vainqueurs. Après avoir atteint Sanremo dans de telles conditions, on peut rentrer à la maison heureux."