Personne ne savait que c'était possible, mais Mathew Hayman l'a fait. En remportant Paris-Roubaix en 2016, l'Australien a mené à bien une des quêtes les plus inspirantes de l'histoire récente du cyclisme. Et son histoire résonne avec une pertinence nouvelle en ces temps de confinement, Hayman ayant dompté le Monument français après plusieurs semaines d'entraînement en intérieur à cause d'une fracture du bras. "C'est l'année où j'avais le moins de chance de bien faire", observe-t-il aujourd'hui au moment de se pencher à nouveau sur ce chef d'oeuvre, un an après sa retraite sportive.
Son chemin vers la victoire a débuté par une chute en début de saison 2016. Sur les routes de l'Omloop Het Nieuwsblad, en ouverture des Classiques, Hayman tombe. Et cette fois, il ne se relève pas comme à son habitude, pour remonter en selle et évacuer la douleur en pédalant. L'Australien expérimenté, sous les couleurs d'Orica-BikeExchange (l'ancien nom de l'équipe Mitchelton-Scott) pour sa 17e saison professionnelle, reste assis sur le bord de la route.
Hayman ne s'est relevé que pour rallier l'hôpital, où des examens révélèrent une fracture au radius du bras droit. "Les docteurs m'ont plâtré et ont dit que j'en avais pour six semaines sans rouler sur la route, se souvient Hayman. J'ai regardé mon téléphone et j'ai dit : 'Ok, ça fait un jour avant Paris-Roubaix...' Le médecin de l'équipe était là aussi. 'Ça n'arrivera pas', m'a-t-il dit. Roubaix, ce n'est pas Milano-Sanremo, il y a les impacts des pavés..."
Le coup est infiniment dur pour Hayman, qui allait sur ses 38 ans et qui avait développé un immense amour pour les Classiques depuis sa première participation à l'Enfer du nord, en tant que néo-pro, en 2000. "J'aime cette course et je me suis toujours mis énormément de pression pour bien faire", confirme-t-il. Mais ses perspectives d'entraînement en vue de la 114e édition de Paris-Roubaix étaient sombres. Capitaine de route apprécié, Hayman a envisagé de reporter ses ambitions sur le Giro d'Italia, un mois après Paris-Roubaix, mais il n'y avait plus de place dans l'équipe pour qu'il dispute l'épreuve italienne.
Préparer Paris-Roubaix sur home trainer
"J'ai attendu le mercredi suivant pour monter sur le home trainer et j'ai fait deux heures", explique-t-il. Hayman n'est pas forcément réfractaire à l'entraînement en intérieur : "Je viens d'Australie, où on travaille beaucoup sur piste, donc on connaît les bénéfices d'un entraînement intense dans un environnement contrôlé, [mais] je regardais un mur, en écoutant un peu de musique, et ça ne le faisait pas vraiment pour moi."
C'est alors qu'est intervenu l'outil qui a changé l'entraînement en intérieur pour les cyclistes du monde entier, professionnels et amateurs : "Je me suis mis sur une plateforme d'entraînement, Zwift, et je pouvais faire une heure et demi, deux heures, sans fatiguer mentalement, explique Hayman depuis son confinement belge. Je pouvais me concentrer sur mon entraînement plutôt que sur le simple fait de rester sur le vélo."
Avec son entraîneur Kevin Poulton, Hayman a mis en place des séances biquotidiennes, et même trois, voire quatre sessions certains jours. "Kevin a complètement analysé ce qu'il faut pour faire Roubaix, raconte le champion australien. J'ai pu garder ma condition, peut-être même l'améliorer un peu en ayant plus de repos et en étant capable de faire exactement les entraînements nécessaires, ce qui n'est pas forcément possible quand tu cours les Classiques. Mais même comme ça, tu peux être la personne la plus en forme au monde et tu ne seras pas le meilleur à Roubaix. Être prêt physiquement, c'est la moitié de l'équation. Il m'a fallu mon expérience."
Mathew Hayman, désormais Directeur Sportif pour Mitchelton-Scott et ambassadeur pour Zwift, a invité les fans à l'accompagner dans une session sur home trainer reproduisant une des séances qu'il travaillait en vue de Roubaix en 2016.
“Je me souviens avoir retardé mon retour sur la route, ajoute-t-il. Je travaillais vraiment bien en intérieur, et en sortant, je prenais le risque d'avoir mal au bras, de ne pas pouvoir faire ma séance complète..." Hayman a repris la compétition sur le GP Miguel Induráin, une semaine avant Roubaix, et a pu faire une grosse reconnaissance sur les pavés le mercredi avant la course : "J'étais heureux ce jour-là. J'avais de bonnes jambes, mon bras tenait, et j'allais pouvoir prendre le départ de Roubaix le dimanche."
Des doutes pendant la course, l'incrédulité à l'arrivée
Hayman a vécu une préparation extraordinaire pour Paris-Roubaix, et il s'est retrouvé sur une course d'exception. Pour la première fois, les organisateurs avaient mis en place une diffusion TV intégrale, du départ devant l'hôtel de ville de Compiègne à l'arrivée sur le célèbre vélodrome de Roubaix. Cette initiative a été récompensée par une très grande journée de cyclisme.
Les attaques ont fusé dès le départ, comme souvent, mais elles se sont poursuivies pendant près de deux heures ! "Ça a bagarré jusqu'à ce que je sois dans l'échappée, après 80 kilomètres de course", décrit Hayman. Seuls les plus vaillants peuvent se faire une place à l'avant dans ces conditions. En plus de l'Australien, on retrouve 13 beaux spécimens dans l'échappée : Sylvain Chavanel, Jelle Wallays, Tim Declercq, Imanol Erviti, Frederik Backaert…
La situation s'est tout juste calmée pendant quelques instants, avant que les Quick-Step de Tom Boonen ne mettent le feu à la course à 115 km du but, laissant des coureurs comme Fabian Cancellara (vainqueur à Roubaix en 2006, 2010 et 2013), Peter Sagan (vainqueur en 2018) et Niki Terpstra (2014) derrière. “La course était lancée !, se réjouit Hayman en amoureux des Classiques. Il y avait des coureurs partout et tout le monde se bagarrait."
Tom Boonen, déjà vainqueur de Paris-Roubaix à quatre reprises, et Sep Vanmarcke furent les principaux favoris à revenir sur les échappés du début d'épreuve pour se disputer la victoire. Mais il était impossible de mettre Hayman à mal en ce jour de grâce, et l'Australien a dominé le sprint sur le vélodrome après une journée de doutes : "Une grande partie de ma victoire repose sur le fait d'avoir pris l'échappée. J'ai pu garder de l'énergie à l'avant. J'attendais que l'écrémage se fasse et j'étais un peu sur la retenue pendant une bonne partie de la course, j'étais nerveux. Je me disais que ce n'était pas possible, pas avec l'entraînement que j'avais fait. Si j'avais été plus confiant... Peut-être que j'aurais montré mes cartes plus tôt."
Les premières images de Mathew Hayman sur la pelouse du vélodrome après l'arrivée montre un homme totalement incrédule. "Comment était-ce possible avec un mauvais entraînement et une mauvaise préparation ?"
Boonen, qui venait de laisser passer l'occasion de devenir le seul coureur avec cinq victoires à Roubaix, a semblé prendre bien plus vite la mesure des événements : "Tu le mérites, mec."