Les routes sans voitures de Colombie montrent l’exemple et sauvent des vies

Les aficionados colombiens du cyclisme ne sont pas prêts d’oublier l’année 2014. En remportant le Giro d’Italia, Nairo Quintana a offert à son pays ce qui, à ce jour, est sa plus prestigieuse victoire en cyclisme sur route. Le seul autre succès obtenu par ce pays dans un Grand Tour remonte à 1987, il y a 27 ans, quand Lucho Herrera a remporté la Vuelta a España. Tout comme Quintana, d’autres Colombiens, tels Carlos Betancur (vainqueur de Paris-Nice), David Arredondo et Rigoberto Uran (qui ont triomphé dans deux des plus difficiles étapes du Giro), incarnent la partie visible d’un iceberg de passion.

Le fait est que ce pays adore le cyclisme. Une part du mérite en revient à la géographie : avec ses plateaux en altitude et ses montées qui n’en finissent pas, les Colombiens ont ce qu’il faut pour façonner de grands cyclistes. Toutefois, la relation entre la nation et le vélo est beaucoup plus profonde. Faire du vélo pour le plaisir ou pour se déplacer est une activité largement pratiquée en Colombie, soutenue par des initiatives du secteur public dont la plus connue est la ciclovía.

Les ciclovías sont des journées sans voitures organisées régulièrement. Ces jours-là, de longues sections des rues d’une ville sont interdites aux moyens de transport motorisés. Lancées en Colombie dans les années 1970, elles sont maintenant populaires dans le monde entier et sont souvent mieux connues sous le nom de « Rues ouvertes ». Les programmes publics de loisirs tels que les ciclovías se sont révélés rentables du point de vue de la santé publique, car ils contribuent à permettre aux participants d’atteindre les niveaux d’activité physique recommandés.

Des millions de personnes profitent des rues sans voiture de Bogota

Ciclovía est un terme espagnol signifiant « piste cyclable ». De prime abord, cela n’a rien de révolutionnaire. Cependant, Bogota, la capitale de la Colombie, a insufflé un sens nouveau à ces deux mots. Les ciclovías sont des journées sans voitures organisées régulièrement, au cours desquelles de considérables portions de la ville sont exemptes de moyens de transport motorisés et consacrées à 100% aux citadins qui peuvent courir, faire du vélo, du patinage – ou tout simplement flâner et socialiser.

L’initiative ciclovía de Bogota offre plus de 90 km totalement interdits aux voitures. Des membres du service d’ordre, des assistants chargés de la sécurité, des mécaniciens vélos, des moniteurs de sport et des guides sportifs (tous rémunérés) sont présents pour assurer que l’expérience soit agréable pour tous. Les premières tentatives remontent aux années 1970, et le programme est maintenant l’une des initiatives phares de Bogota. La ville offre le plus imposant programme ciclovía du monde, avec 72 événements organisés chaque année (tous les dimanches ainsi que les jours fériés). A chaque fois, entre un million et un million et demi de personnes saisissent la possibilité qui leur est donnée d’apprécier les routes de la capitale vidées de leurs voitures. L’incroyable succès des ciclovías a incité des dizaines d’autres villes à travers le monde, et en particulier sur le continent américain, à instaurer des projets similaires, comme à Mexico City (ci-dessous).

Si vous le faites, faites-le correctement

Alors que doit-on faire pour organiser une ciclovía couronnée de succès ?

Une étude a démontré que l’appui de la communauté – commerçants, résidents et organisations municipales – est essentiel à la qualité et à la durabilité d’un programme « Rue ouverte ».

Des manifestations cyclistes professionnelles de grande envergure constituent donc une occasion parfaite d’inaugurer un programme public de loisirs, en misant sur l’élan et la solidarité que d’importants événements sportifs suscitent dans les milieux d’affaires locaux.

La ville de Richmond, en Virginie (Etats-Unis), qui accueillera les Championnats du Monde Route UCI 2015, organise chaque année une ciclovía, « RVA Streets Alive », au cours de laquelle les routes sont interdites aux véhicules motorisés pour permettre aux cyclistes et piétons de circuler librement dans une ambiance de fête.

« 8-80 Cities », un organisme canadien à but non lucratif basé à Toronto, a élaboré un manuel offrant des conseils pour la mise en place de ciclovías ainsi que d’autres outils pour faire connaître les éléments constitutifs du projet. 8-80 est dirigé par Gil Peñalosa, l’un des grands experts mondiaux d’une planification urbaine favorisant le bien-être des citoyens, et ancien membre de la Commission Parcs, Sports et Loisirs de Bogota. Il est conscient que certains élus locaux rechignent à organiser ce type de manifestations par crainte des réactions aux perturbations de l’activité économique, aux fermetures de routes, et des électeurs mécontents. « Le changement est une chose difficile, mais vous devez agir en fonction de ce que vous jugez nécessaire et non pas ce qui vous assure la tranquillité, conseille M. Peñalosa. L’intérêt général doit être supérieur au souhait de quelques uns. Les bénéfices ne s’arrêtent pas aux activités de loisir : ils s’étendent au bien-être physique et psychologique, à l’environnement, et au développement économique. »

Pour vous faire une idée de ce à quoi une ciclovía ressemble, regardez ce court film réalisé en 2007 par Street Films.

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Un potentiel d’économie

Vous n’êtes toujours pas convaincus ? Les détracteurs du mouvement ciclovía pourraient bien être conquis en observant les bienfaits découlant de l’activité physique pratiquée par les masses, tant en termes de santé publique et que du point de vue social.

Des recherches universitaires ont démontré que les ciclovías fournissent des retours sur investissements positifs, les bénéfices de santé résultant de l’augmentation d’activité l’emportant de loin sur les coûts de mise en application.

Une autre étude a révélé que les personnes qui prennent part aux ciclovías non seulement satisfont les recommandations en matière d’activité physique mais ont aussi des « niveaux plus élevés de capital social », qui est défini comme un « ensemble de ressources liées à la possession d’un réseau, à la maîtrise de normes et à la confiance sociale qui facilite la coordination et la coopération pour le bénéfice mutuel des parties. » Et, comme une autre recherche l’a démontré : « la perception d’un capital social élevé est associée au bien-être et à la santé perçue » comme on voit sur les visages de ces jeunes femmes à Jakarta, à l’occasion d’une des journées sans voiture organisées dans la capitale indonésienne.

Selon l’Organisation mondiale de la Santé (OMS), l’« urbanisation sauvage galopante » est l’un des plus importants facteurs ayant un effet sur la santé mondiale. Une étude menée aux Etats-Unis a révélé que les zones regroupant des personnes à faible revenu et des minorités ethniques sont moins susceptibles d’avoir accès à des infrastructures de loisirs où elles peuvent se livrer à une activité physique gratuite. Des programmes comme les ciclovías offrent la possibilité de combler ce manque d’accès : selon une étude réalisée à San Francisco, les personnes participant aux ciclovías représentent les minorités ethniques de la ville, tandis que d’autres chercheurs suggèrent que les participants de Bogota sont issus de groupes à faible et moyen revenu, dans des proportions représentatives de la structure sociale de la ville.

Des systèmes de santé sous pression

Le vieillissement progressif de la population, résultant de l’allongement de la durée de vie et associé à la baisse du taux de fertilité, présente un certain nombre de défis financiers aux gouvernements, en particulier pour leur système de santé.

Cette évolution démographique entraîne un changement des principales causes de maladie et de décès. Les maladies chroniques et dégénératives (en particulier la maladie cardiaque coronarienne, le diabète, l’hypertension, le cancer du côlon, le cancer du sein et la dépression) sont en hausse partout dans le monde, indépendamment du niveau de revenu.

Selon l’OMS, d’ici 2030 les maladies chroniques représenteront plus de la moitié du fardeau des maladies dans les pays à faible revenu et plus de 75% dans ceux à moyen revenu.

Les maladies chroniques entraînent des coûts pour la collectivité, à la fois directement (dépenses de santé) et indirectement (perte de productivité économique).

De plus, l’OMS estime que l’inactivité physique se situe au quatrième rang (sur 19) des facteurs de risque de mortalité au niveau mondial.

Le rôle du cyclisme dans la prévention des maladies

Il est largement admis que l’activité physique est cruciale en matière de prévention des maladies chroniques. L’OMS et le gouvernement américain indiquent que la pratique hebdomadaire de 150 minutes d’aactivité physique en aérobie d’intensité moyenne (ou 75 minutes d’aérobie d’intensité élevée) suffit pour améliorer, chez les adultes, l’endurance cardiorespiratoire, la force musculaire, le bon fonctionnement métabolique et la santé osseuse.

Ces 150 minutes par semaine peuvent facilement être atteintes en intégrant, dans la routine quotidienne d’une personne, un trajet à vélo jusqu’à son lieu de travail ou d’étude.

Une étude publiée en 2012 dans The Lancet, la revue scientifique médicale britannique, a conclu que si les citadins d’Angleterre et du Pays de Galles faisaient autant de vélo et marchaient autant que les habitants de Copenhague, le National Health Service (le service national de santé) pourrait économiser environ 17 milliards de livres sterling (26 milliards de francs suisses ou 21 milliards d’euros) dans les vingt ans à venir.

Mais que feriez-vous si vous étiez le maire d’une mégalopole de 7,6 millions d’habitants, ayant le coefficient d’inégalité le plus élevé d’Amérique du Sud en termes de revenus ainsi qu’un taux croissant de mortalité liée à la circulation ?

La mise en place d’une ciclovía est probablement une bonne solution. Et voici encore plus de matière à réflexion : Bogota, la capitale colombienne est aussi connue pour sa cicloruta – l’un des plus vastes réseaux de pistes cyclables au monde (300 km). Découvrez ici comment, au quotidien, cette infrastructure permet à 200’000 personnes de se déplacer dans Bogota.

Credits photos: Mexico City (Justin Swan), Jakarta (killerturnip)