Comment les pros gèrent le confinement

Tout a commencé aux Emirats Arabes Unis. Fin février, quatre équipes professionnelles se sont retrouvées en quarantaine dans leur hôtel à l'issue de l'UAE Tour, raccourci en raison de l'épidémie de Covid-19. Habitués aux grands espaces, les coureurs de Groupama-FDJ, Cofidis, UAE Team Emirates et Gazprom-RusVelo ont dû s'habituer aux espaces confinés. Ils ont aussi commencé à expérimenter l'entraînement dans des conditions inhabituelles, et certains ont pu se faire livrer des home trainers.

Dix jours plus tard, la plupart d'entre eux rentraient à la maison... et ils y sont toujours, un mois plus tard, avec les mesures de confinement plus ou moins strictes imposées dans un très grand nombre de pays pour lutter contre la pandémie. « Ce n'est pas une situation facile, on ne sait pas pourquoi on travaille, mais m'entraîner permet de garder un rythme de vie sain », explique Pauline Ferrand-Prévot (Canyon-SRAM), plutôt habituée à exprimer ses talents dans des décors bien plus variés.

Après avoir partagé leurs conseils à destination de tous les pratiquants, trois experts décrivent la situation des professionnels dont la saison est en suspens au moins jusqu'au 1er juin :

-    Diego Bragato, scientifique du sport pour la Fédération Cycliste Italienne, entraîneur d'Elia Viviani et l’un des cerveaux derrière les programmes d'entraînement de l'application Bikevo ;

-    Jesus « Chiquitin » Hernandez, physiothérapeute de l’ UCI WorldTeam NTT Pro Cycling Team et grand amateur de Zwift ;

-    Julien Pinot, qui entraîne son frère Thibaut et une partie de l'UCI WorldTeam Groupama-FDJ.

« On se réunit avec les coureurs et les entraîneurs pour faire des sessions courtes sur home trainers, explique Jesus Chiquitin. L'idée est de maintenir une activité et de bonnes habitudes avec l'appui des entraîneurs. On leur donne aussi des exercices spécifiques. Un professionnel ne pourra pas avoir les mêmes volumes d'entraînement qu'en extérieur, alors on se concentre sur la qualité avec des sessions plus courtes. »

NTT Pro Cycling Team, qui travaille en partenariat avec l'application Zwift, organise également des sessions publiques que peuvent rejoindre les fans du monde entier.

S’amuser et combattre la fatigue

D'autres équipes comme la formation espagnole Equipo Kern Pharma se rassemblent sur Bkool, une plateforme sur laquelle 13 coureurs professionnels ont récemment participé à un Tour des Flandres virtuel organisé par Flanders Classics. Ces événements permettent de rester en contact avec leurs supporters, de maintenir une visibilité pour l'équipe elle-même et pour ses partenaires, et de divertir les coureurs tout en leur permettant de participer à des compétitions.

« Ces applications sont une bénédiction pour les entraîneurs, se réjouit Julien Pinot. Les coureurs aiment être en extérieur, ils veulent respirer l'air frais. Les applications de cyclisme virtuel sont ludiques et aident à lutter contre la monotonie. La majorité de nos coureurs sont sur Zwift de leur propre initiative et ils se donnent même rendez-vous pour rouler ensemble sans qu'on leur dise quoi que ce soit. Pour eux aussi, les heures de home trainer passent beaucoup mieux comme ça. »

Les coureurs de Groupama-FDJ (Julien Pinot en entraîne huit : son frère Thibaut, Arnaud Démare, Stefan Küng, Rudy Molard, Sébastien Reichenbach, Anthony Roux, Tobias Ludvigsson et Kevin Geniets) suivent un programme léger en cette période de confinement.

« On considère que c'est vraiment différent de la situation d'un coureur blessé, explique Pinot. Si un coureur se casse le bras, on sait qu'il a trois semaines pour se préparer et à la quatrième il est de retour en course. Là, on ne sait pas quand les courses vont pouvoir reprendre. Donc on ne veut pas les surcharger. Notre recommandation est de ne pas dépasser les deux heures de home trainer quotidiennes et de garder une journée complète de récupération par semaine. La consigne est de ne surtout pas accumuler de fatigue à cette période. »

Arnaud Démare profite de ses équipements de musculation à domicile. Anthony Roux mise sur la course à pied pour s'aérer. Idem pour Sébastien Reichenbach, qui ne peut plus faire de ski en Suisse. Tous apprennent à rire de la situation, à l'image des publications de Démare sur les réseaux sociaux.

Rester pro malgré l'incertitude

L’un des principaux défis de cette période est mental, comme Pinot l'observe. « Il a fallu accepter de faire une croix sur la préparation hivernale et tout le travail fait pour être en bonne condition, explique-t-il. C'était plus difficile pour certains  que pour d’autres, surtout pour ceux qui n'ont pas beaucoup couru, mais on est là pour les écouter quand ils ont des inquiétudes et pour les guider, sans trop leur mettre de pression. »

« La plupart des coureurs avec lesquels je travaille étaient aux Mondiaux UCI sur piste de Berlin fin février, donc ils étaient dans une très belle forme, rappelle Diego Bragato. Pour certains, on avait programmé une petite période de récupération de toute façon, donc le coronavirus n'a pas posé trop de problème, mais d'autres comme Elia Viviani, Filippo Ganna ou Simone Consonni avaient des courses importantes sur la route. Quand Milano-Sanremo a été annulé, on a décidé de faire une coupure de deux semaines, pour récupérer physiquement et mentalement. »

Ses champions italiens ont repris l'entraînement sans perspectives claires. « Pour l'équipe sur piste, les Jeux Olympiques étaient la principale motivation, donc c'est un peu difficile pour eux, reconnaît Bragato. Pour les coureurs sur route, c'est facile parce qu'ils savent qu'ils doivent être prêts dès que les courses reprennent. »

L'entraînement bat son plein, et tout le monde espère qu'il sera prêt lorsque les compétitions reviendront.