L’un des aspects les plus fascinants du cyclisme sur piste est le gabarit très varié des athlètes de classe mondiale qui représentent la discipline. Il suffit d’un rapide coup d’œil en arrière, lors de la dernière manche de la Coupe du Monde Piste Tissot UCI 2019-2020 qui s’est disputée à Glasgow, en Ecosse, pour s’en apercevoir. Harrie Lavreysen, qui a ajouté à son palmarès une nouvelle victoire sur l’épreuve du sprint une semaine après son succès initial à Minsk, en Biélorussie, mesure 1,81 mètre et pèse 92 kg (ce qui permet d’expliquer pourquoi le multiple Champion du Monde UCI est capable de pousser plus de 200 kg !). En comparaison, l’Ouzbek Olga Zabelinskaya, âgée de 39 ans, qui a terminé à la deuxième place sur l’épreuve de l’omnium chez les femmes à Glasgow, mesure 1,70 mètre – soit 11 centimètres de moins que Lavreysen - et pèse 31 kilos de moins que le Néerlandais (ce qui représente près d’un tiers de son poids total), pour atteindre les 61 kilos. Pourquoi une telle différence ? Clairement le genre masculine ou féminin constitue une partie de l’explication, mais il y a aussi une raison sous-jacente liée aux spécialités de ces coureurs sur la piste : Lavreysen est un sprinteur, alors que Zabelinskaya est une spécialiste des épreuves de fond. Cela induit des implications sur leur physiologie et donc leur rapport nutritionnel.
Les compétitions sur piste comprennent des épreuves aussi différentes que le sprint individuel ou par équipes, qui se dispute entre un et trois tours ; les 2 000 mètres du keirin ; la poursuite individuelle ou par équipes sur 3 000 ou 4 000 mètres ; et des épreuves d’endurance comme l’méricaine (50 km), le Scratch (10-15 km) et la Course aux Points (25-40 km). Ces efforts peuvent varier d’une durée de 15 secondes jusqu’à une heure, quand dans le même temps la plupart de ces épreuves comportent plusieurs manches et des finales à disputer sur la même journée. L’Omnium, par exemple, regroupe quatre épreuves sur une seule journée.
Tous ces éléments entrent en compte dans le programme du nutritionniste au moment d’élaborer les plans alimentaires de son coureur. En général, les sprinteurs comme Lavreysen auront un indice de masse corporelle élevé avec une forte musculature, en particulier au niveau des membres inférieurs. Cela permet de générer des niveaux de puissance explosive sur des courtes distances. À l’inverse, les athlètes d’endurance sont généralement plus légers et plus nerveux, mais conservent assez de puissance pour affronter les épreuves de leur discipline tels que le sprint et les face-à-face avec leurs adversaires.
Comment ces deux profils physiques différents affectent-ils ce qu’un coureur sur piste va consommer ? Commençons d’abord par ce qui les unit : la périodisation nutritionnelle.
« Vous devez associer votre apport alimentaire à votre charge d'entraînement », déclare Alan Murchison, le chef étoilé au guide Michelin qui est maintenant chef de l'équipe British Cycling.
« Cela signifie que vous devez étudier votre plan d’entraînement et planifier des repas correspondant à vos besoins énergétiques. Un smoothie au chou frisé avant une session d’entraînement de forte intensité, par exemple, est aussi inefficace que de consommer un petit-déjeuner de 5 000 calories lors d'une journée de repos ! »
Alors, qu'est-ce qui est le plus optimal ? Les données varient en fonction des individus, mais observons de plus près les sprinteurs en général. Ils s'entraînent principalement au vélodrome, sur des rouleaux statiques ou alors à la salle de sport, en se concentrant sur les répétitions courtes et à haute intensité suivies de longues sessions de récupération. Cela implique qu’ils mettent une énorme pression sur leurs muscles, créant des millions de micro-déchirures, ce qui signifie que les sprinteurs auront besoin de plus de protéines réparatrices que les athlètes d'endurance. Ce chiffre représente en gros 1,6 à 1,8 g de protéines par kilogramme chez les sprinteurs, contre environ 1,4 g par kilo chez les coureurs d'endurance. Sir Chris Hoy, le sprinteur multiple médaillé d'or olympique, estime que la meilleure prise en compte du fonctionnement des protéines dans l'alimentation d'un athlète constitue l'un des plus grands progrès de la nutritions sportive.
Jeffrey Hoogland, qui a aidé les Pays-Bas à remporter la médaille d'or lors du sprint par équipes à Minsk et à Glasgow, reconnaît également que les besoins en protéines sont plus importants chez les sprinteurs, ainsi que le confirme l'entraîneur Christian Bosse : « Quand nous sommes à Papendal [le centre d'entraînement olympique où s'entraîne Hoogland] et que nous effectuons de grosses séances, nous restons sur place pour le déjeuner. Au repas, nous servons beaucoup de plats riches en protéines à nos athlètes, comme les œufs et la viande. Ensuite, nous nous reposons et nous détendons, puis nous nous préparons pour la deuxième séance d’entraînement. Les protéines sont la base de notre alimentation. Nous consommons donc des aliments très riches en protéines. »
Les athlètes qui suivent un régime végétarien ou végétalien trouveront leurs protéines dans des aliments comme les pois chiches, les lentilles et les produits de soja.
Les besoins en glucides chez les sprinteurs sont inférieurs à ceux des athlètes d'endurance. Il est conseillé pour ce e dernier groupe de consommer des collations plus riches en glucides, telles que des gâteaux de riz et des bananes, mais pour les deux types d'athlètes, la consommation de glucides devrait être périodisée sur différentes sessions et compléter différents moments de l’entraînement. Les séances clés ainsi que les courses requièrent un apport en glucides supérieur.
De nombreux nutritionnistes d’équipe et leurs chefs, y compris Murchison, adhèrent à la « règle des tiers ». En clair, cela signifie couper la poire en trois : un tiers de protéines, un tiers de glucides et un tiers de légumes verts contenant des antioxydants. Ceux-ci sont essentiels pour éliminer les toxines, renforcer l’immunité et permettre au métabolisme de fonctionner efficacement. À l'approche des compétitions, cette règle peut être légèrement modifiée en faveur d’un régime plus riche en glucides et en protéines.
Selon la diététicienne Ali Disher, qui travaille avec les pistards australiens aussi bien du sprint que des épreuves de fond, la journée avant une compétition devrait toujours démarrer par un petit-déjeuner riche en glucides, tel que du porridge. « Plus vous approchez du début de la course, moins vous avez besoin de nourriture complexe. Donc, environ 2 heures avant la course, des pâtes ou un bol de riz sont suffisants. Une heure avant, il faut des aliments encore plus simples, faciles à digérer, comme du pain et de la confiture. »
Ce modèle s'applique également entre les séries. Mais si la nervosité d’un cycliste lu pose des problèmes de digestion, Disher suggère une alternative. « Il devrait opter pour une nutrition liquide », dit-elle. « Une boisson sportive est une bonne solution. Cela dit, si tel est le cas, le repas de la nuit précédente doit être encore plus important et riche en glucides et protéines. »
Les besoins en liquide sont également essentiels pour réaliser des performances optimales, en particulier avant et après une course, tout simplement parce que les vélos de piste ne disposent pas de porte-bidon comme les vélos de route. La quantité de liquide dont a besoin un cycliste dépend de nombreux facteurs, dont l’intensité et la durée de l’exercice, ainsi que de la température du vélodrome. En règle générale, le pistard doit consommer 1,5 litre de liquide pour chaque litre de sueur perdu (le supplément tient compte de la miction). Il est préférable de boire une gorgée de temps en temps plutôt qu’un grand volume car cela favorise une plus grande rétention de liquide. Les boissons électrolytiques sont populaires car l'eau nécessite du sodium pour passer des cellules sanguines aux cellules musculaires actives.
L'importance de faire le plein correctement ne doit pas être sous-estimée. Associer avec précision le bon apport en calories et en macronutriments (glucides, protéines et lipides) à la charge d'entraînement et de course spécifique permettra d'obtenir un poids corporel optimal et une masse musculaire faible pour une puissance maximale pendant la durée de l’effort requise. Et cela pourrait faire toute la différence entre gagner et perdre une course.