Dans un pays où l’on considère que la pratique du cyclisme par les femmes est provocatrice et immorale, une équipe féminine nationale fait petit à petit évoluer les mentalités.
« Rouler à vélo est le tabou le plus profondément ancré dans la culture afghane, constate Shannon Galpin, fondatrice de Mountain2Mountain, une ONG qui défend les droits et l’autonomie des femmes dans les zones de conflit. Il y a plus de femmes qui se lancent en politique que de femmes qui font du vélo. »
Galpin est une Américaine habitant le Colorado et qui se rend en Afghanistan trois fois par an en moyenne pour aider et entraîner les quelques jeunes femmes de Kaboul membres de l’équipe nationale d’Afghanistan. Malgré les invectives des passants et même les jets de pierre, les filles tiennent bon et continuent à rouler.
Utiliser son vélo pour faire changer les choses
Galpin continue : « Elles ne le font pas pour faire la révolution. Elles roulent à vélo parce qu’elles pensent qu’elles ont le droit de le faire. Pourquoi est-ce qu’un garçon pourrait aller à l’école à vélo en 15 minutes alors que les filles devraient marcher une heure pour s’y rendre ?
« Ces filles ne sont pas juste des coureuses, il ne s’agit pas que de compétition. Il s’agit de la façon dont vous utilisez un vélo pour faire bouger les choses. A travers le sport cycliste, ces filles vont banaliser l’usage de la bicyclette dans le reste du pays, ce qui permettra aux jeunes filles d’aller à l’école à vélo et aux sages-femmes de l’utiliser pour se rendre dans les communautés rurales. Le vélo peut littéralement changer leur vie. »
Amoureuse du mountain bike, Shannon Galpin était la première femme à pratiquer ce sport en Afghanistan, en 2009. En 2010, elle est devenue la première personne à traverser la Vallée du Panjshir de cette façon. Elle n’avait jamais vu d’autres femmes faire du vélo dans le pays avant 2012, lorsqu’elle a entendu parler de l’équipe nationale basée à Kaboul.
Ces huit jeunes athlètes ont la chance de pouvoir compter sur le soutien d’un entraîneur (homme) et de familles progressistes. Dans certains cas, leur père ou leur frère roulent même avec leur fille ou leur sœur. « En le faisant, ils leur donnent leur approbation », relève Galpin avec admiration. Ils sont aussi héroïques que les filles. »
Elle relève qu’une grande partie des résistances ne vient pas des hommes mais des mères, soucieuses de préserver l’honneur de leurs filles. Quelques-unes de ces mères ont admis depuis qu’elles avaient toujours rêvé de rouler à vélo lorsqu’elles étaient plus jeunes.
Compétition internationale
Même si la compétition de haut niveau n’est pas une préoccupation pour Shannon Galpin, elle considère malgré tout que celle-ci peut jouer un rôle important pour favoriser l’acceptation du sport féminin.
« Les choses évoluent et les gens regardent le sport à la télévision afghane. Deux filles ont participé aux Championnats d’Asie, au Kazakhstan, en 2014. Le fait qu’elles roulent peut banaliser les vélos et faire admettre que le cyclisme n’est pas obscène. »
Elle aimerait vraiment permettre au moins à une partie de l’équipe d’aller à Rio l’an prochain pour suivre les courses cyclistes olympiques, avec un objectif à plus long terme, une participation aux JO 2020 : « S’il pouvait y avoir ne serait-ce qu’une fille à Tokyo qui fait flotter le drapeau de l’Afghanistan… »
Nous parlons d’un pays où le sport féminin est toujours fragile – l’équipe féminine nationale de cricket a récemment été dissoute –, mais Shannon Galpin est optimiste. A l’instar de l’équipe de huit femmes de Kaboul, des groupes de femmes cyclistes apparaissent dans d’autres régions.
Liv, la marque cycliste dédiée aux femmes, s’est jointe au projet en faisant des dons sous forme de vélos et de matériel, et le Comité National Olympique afghan soutient fortement l’équipe.
« Le travail que nous réalisons est extrêmement inspirant », constate Galpin, qui a produit un long-métrage documentaire, « Afghan Cycles », qui devrait sortir en 2016. Le documentaire retrace l’histoire de ces filles courageuses et du bonheur que leur inspire la pratique du vélo.
L’une d’elles déclare face à la caméra « Je suis très fière d’être une cycliste. » Et une de ses coéquipières ajoute : « Ils nous disent que nous n’avons pas le droit de rouler à vélo dans les rues et d’autres choses du même genre. Nous leur répondons que c’est notre droit et qu’ils nous en privent. Ensuite nous accélérons. »
Ou comment faire bouger les choses.