La fierté du Pérou : Gracia Sotomayor crée de nouveaux possibles avec le cyclisme artistique

C'est un des parcours les plus étonnants de l'histoire du cyclisme en salle, sinon du cyclisme en général. Une histoire débordante de passion pour une discipline bien particulière.

Une femme péruvienne quitte son emploi en 2018 et rejoint une communauté dédiée au cyclisme en Amérique du Sud. Il s'avère qu'elle n'est pas très rapide, mais qu'elle peut faire des acrobaties sur son vélo. Son intérêt pour le cyclisme artistique s’éveille.

Cette jeune femme s’appelle Gracia Sotomayor et elle a désormais accompli son rêve inhabituel. « Je voulais en savoir plus sur ce sport, dit-elle. Mais je ne m'attendais pas à ce que tout se passe si vite. » Du jour au lendemain, elle consacre sa vie au cyclisme artistique et apprivoise sa nouvelle discipline.

Le récit est d'autant plus curieux que le cyclisme artistique n'est pas pratiqué au Pérou et, plus largement, en Amérique du Sud. Et à presque 30 ans, Gracia pouvait sembler trop âgée pour entamer une carrière cycliste artistique prometteuse. Les adeptes font généralement leurs débuts entre 6 et 10 ans.

Gracia en est consciente et sait qu'elle n'atteindra pas les hautes sphères du cyclisme artistique. « Ça n’a pas d’importance pour moi. Mon développement est différent. Je m'entraîne parce qu'il n'y a rien de mieux que le sentiment d'être en phase avec soi-même et son vélo, et d'avoir un contrôle total de son corps. »

Elle sait aussi qu'il est peu probable qu'elle gagne de l'argent grâce au cyclisme artistique. Tout au plus, les artistes de cirque en vivent-ils. Les primes de victoire, auxquelles Gracia ne peut pas prétendre pour le moment, ne couvrent généralement même pas les frais de voyage.

Néanmoins, Gracia s'en tient à son rêve. A ses débuts, la Péruvienne cherchait des contacts sur Instagram. Les nations les plus actives se trouvent essentiellement en Europe, et pour certaines en Asie. Elle a trouvé ce qu'elle cherchait, notamment sur des sites en langue allemande.

En 2018, son parcours la mène jusqu'en Espagne, via la Colombie. Un ami lui a offert un billet d'avion pour Barcelone, mais l'Espagne n'est pas non plus une nation de cyclisme en salle. Elle y a tout de même découvert l'existence des Championnats du Monde Cyclisme en salle UCI - le grand rendez-vous annuel du cyclisme artistique et de ses spécialistes - qui devaient avoir lieu en Belgique fin novembre 2018. Gracia a alors plongé dans le monde fascinant du cyclisme en salle pendant trois jours. « J’ai pleuré de joie qu'on me permette de regarder », se souvient-elle.

A 34 ans, Gracia Sotomayor est alors entrée en contact avec la famille internationale du cyclisme artistique. « Le milieu n’est pas trop grand, alors il était facile de rencontrer du monde lors de la Coupe du Monde UCI », dit-elle. Elle rencontre d'abord le multiple Champion de Hongrie Martin Schön, qui guide Gracia vers le club allemand du VfH Worms. Après une semaine d’observation, elle saute sur le vélo artistique.

En 2019, elle a participé à sa première compétition au niveau régional. Elle se prépare ensuite pour les Championnats du Monde UCI 2020 de Stuttgart (Allemagne), qui n’ont finalement pas lieu en raison de la pandémie de Covid-19. Mais un an plus tard, elle a participé à ses premiers Mondiaux UCI devant environ 4'000 spectateurs. Elle espère également être au rendez-vous cette année en Belgique et l'année prochaine à Glasgow.

Elle est également la première Péruvienne à participer à la Coupe du Monde UCI. Il y a quelques jours, Gracia a pris la dernière place de la compétition de Schiltigheim (France). Gracia affichait ensuite (et comme toujours) un bonheur rayonnant. La récompense? Un nouveau record personnel de 30,18 points. Pendant plus de deux semaines, Gracia s’est préparée avec un investissement total avant de livrer une performance presque sans faute, accompagnée de son sourire caractéristique pendant le programme libre.

Gracia est également une pionnière dans l’internationalisation de sa discipline. En collaboration avec Indoor Cycling World Wide (ICWW), elle souhaite développer le cyclisme artistique en Amérique du Sud. Elle a traduit le règlement de l'UCI en espagnol et, au printemps 2022, Gracia a passé plusieurs semaines dans son pays d'origine en tant qu'ambassadrice. Dans le Vélodrome de Lima, elle a présenté le cyclisme artistique avec des ateliers et des démonstrations, accompagnée par des artistes de cirque et des groupes de cyclistes.

Enfin, Gracia veut transmettre ses émotions et expériences dans un livre avec l'espoir d'inspirer d’autres personnes. « Le cyclisme artistique me fait me sentir tellement épanouie, et pour la première fois, j'ai l'impression d'avoir la force de faire ce que je veux vraiment faire », insiste Gracia. Elle vient d'une société avec des différences importantes entre les femmes et les hommes. « Je n'ai jamais remis en question ce que je fais, mais je n'aurais jamais pensé que j'en aurais l'opportunité. Habituellement, les filles ne déménagent pas avant d'être mariées. Mais je l’ai fait à 25 ans parce que je voulais être plus indépendante. »

C'est précisément ce courage qu'elle souhaite aujourd'hui transmettre : « Je veux que les autres puissent ressentir ce que je ressens. Et je veux montrer aux autres qu’on peut vivre ses rêves. »