Tokyo 2020 : l’échappée glorieuse de Kiesenhofer

A 30 ans, Anna Kiesenhofer a signé dimanche le plus grand exploit de sa carrière sportive, et de loin, au moment de traverser seule le Fuji International Speedway pour s’offrir la médaille d’or à l’arrivée de la course en ligne féminine des Jeux Olympiques de Tokyo 2020. L’ancienne triathlète, qui s’est mise au cyclisme en 2014 tout en poursuivant ses études aux Universités de Vienne, Cambridge et Catalogne, avait jusqu’alors remporté plusieurs titres de Championne Nationale d’Autriche et une étape du Tour Cycliste Féminin International de l’Ardèche, en 2016.

Kiesenhofer est la première cycliste autrichienne à remporter une médaille aux Jeux Olympiques, et elle l’a faite en tant que seule représentante de son pays dans la course en ligne féminine. Parmi ses compatriotes masculins, seul Adolf Schmal était monté sur le podium, grâce à ses exploits sur la piste en 1896.

Malgré son approche scientifique de l'effort et la maîtrise affichée sur les routes japonaises, Kiesenhofer était peut-être la plus surprise, étendue sur le bitume et incapable de reprendre son souffle devant l’immensité de ses efforts et de son exploit. Elle n’est certainement pas aussi habituée au succès que les coureuses qui l’ont suivie à l’arrivée, la Néerlandaise Annemiek van Vleuten, médaillée d’argent, devant l’Italienne Elisa Longo Borghini (bronze).

Un peloton de 67 participantes s’est élancé depuis le parc Musashinonomori en début d’après-midi. Les températures élevées et les difficultés du parcours (137 km pour 2'692 m de dénivelé) laissaient peu de doutes quant à la nature de la Championne Olympique à venir : seules les plus courageuses seraient en mesure de se disputer la victoire à l’approche du Fuji International Speedway, avec un circuit final de 17,7 km pour faire la décision.

Mais avec la principale difficulté du jour, la Doushi Road, franchie en milieu de parcours avant de surmonter le Kagosaka Pass dans la foulée, les options tactiques étaient particulièrement ouvertes avant un final exigeant et excitant.

Cinq coureuses se sont rapidement détachées : Anna Plichta (POL), Carla Oberholzer (RSA), Anna Kiesenhofer (AUT), Vera Looser (NAM) et Omer Shapira (ISR). Selam Amha (ETH) et Mosana Debesay (ERI) ont tenté de les rejoindre mais elles sont restées en poursuite pendant près de 40 km avant d’être reprises par le peloton.

A ce moment-là, l’écart entre le groupe de tête et le peloton dépassait les 10’, mais cela n’empêchait pas des contre-attaquantes de ressortir du peloton pendant que l’échappée perdait des unités. Peut-être conscientes de la nécessité de réagir face à un tel écart, Ana Marina Espinola Salinas (PAR) et Catalina Anais Soto Campos (CHI) se lançaient en poursuite d’un groupe dont Looser et Oberholzer étaient distancées.

Avec un écart conséquent, des équipes réduites (une à quatre coureuses par nation) et la principale ascension du jour (Doushi Road) à affronter relativement tôt, les favorites ont lancé les hostilités loin de l’arrivée. Les sélections allemande et surtout néerlandaise étaient les plus actives dès le départ.

La formation Oranje visait un nouveau titre avec les deux dernières Championnes Olympiques sacrées dans la course en ligne, Marianne Vos (2012) et Anna van der Breggen (2016), et leur équipières Annemiek van Vleuten (en tête de la course avant une terrible chute en 2016) et l’étoile montante Demi Vollering.

Vollering a attaqué dans l’ascension de Doushi Road, à environ 8 km du sommet. Elle a rapidement été reprise, mais le peloton s’étirait et perdait des coureuses majeures, à l’image de l’Allemande Trixi Worrack, qui participait à ses cinquièmes Jeux Olympiques.

Dès lors, la pression n’a cessé de monter avec une succession d’accélérations violentes. L’Américaine Ruth Winder y est allée de sa propre attaque, mais ce sont surtout les Néerlandaises qu’on a vues multiplier les assauts en tête de groupe : Van Vleuten, suivie par Vos, puis Van der Breggen, et Van Vleuten encore… et encore.

La triple Championne du Monde Route UCI (sacrée une fois dans la course en ligne, deux fois dans le contre-la-montre) a creusé l’écart sur les dernières pentes de la montée de Doushi Road et poursuivi son effort sur le plateau qui suivait. Lorsque la course entrait dans les 50 derniers km, Van Vleuten évoluait à 5’40’’ du trio de tête et 50’’ devant un groupe d’environ 25 poursuivantes dans lequel on retrouvait ses trois coéquipières néerlandaises qui reprenaient toutes leurs rivales qui tentaient de sortir du groupe, à l'instar de l'Espagnoles Margarita "Mavi" Garcia et de la Britannique Elizabeth Deignan.

Les attaquantes ont poursuivi leurs efforts dans la montée du Kagosaka Pass. Kiesenhofer a distancé les autres membres de l’échappée, creusant un écart de 21’’ sur Shapira et 41’’ sur Plichta au sommet. Van Vleuten continuait de se rapprocher : 4’59’’ au moment de basculer, avec 42 poursuivantes menant la poursuite à 57’’ de la Néerlandaise.

Van Vleuten n’a pas pu continuer en solitaire, la Belge Lotte Kopecky et la Polonaise Katarzyna Niewiadoma se montrant particulièrement actives pour forcer un regroupement. Lorsque Kiesenhofer a franchi la ligne pour la première fois (17,7 km à parcourir), elle avait toujours 4’20’’ d’avance sur les favorites. Et Plichta et Shapira étaient à nouveau ensemble, 2’ derrière leur ancienne partenaire d’échappée.

Les poursuivantes ont tout donné, mais Kiesenhofer était déjà hors de portée. La fatigue se lisait sur son visage et dans chacun de ses coups de pédale, après plus de 130 km à l’avant.

Shapira et Plichta ont été reprises dans les cinq derniers km, ce qui a donné plus de relief à la résistance de Kiesenhofer et amené une certaine confusion dans le peloton. Les Néerlandaises pensaient alors avoir repris toutes les fuyardes… Il leur en manquait une. Van Vleuten est finalement sortie du peloton pour prendre la médaille d’argent, devant l’Italienne Elisa Longo Borghini, à nouveau médaillée de bronze après en avoir fait de même en 2016.