Les huit coureurs qui composent l’effectif de l’ACE - The Sufferfest - Lesotho MTB Team sont tous nés et ont tous grandi au Lesotho. La plupart sont issus de milieux très défavorisés et trois sont orphelins depuis leur plus jeune âge. Se procurer les biens de première nécessité étant difficile et comme le budget de l’équipe (10'000 Euros par an) est trop bas pour leur offrir une rémunération, ces coureurs sont contraints de travailler pour gagner leur vie. Ils ne peuvent donc s’entraîner qu’à la fin de leur journée de travail.
Comment sont-ils parvenus dans ces conditions à se placer dans la première moitié (43e sur 87) du classement par équipes XCO (cross-country olympique) UCI publié la semaine dernière ?
« Nous avons la chance de nous situer tout près de l’Afrique du Sud, où le niveau des compétitions est très élevé et où sont organisées de nombreuses épreuves UCI, explique le fondateur de l’équipe Mark West. Notre stratégie consiste à cibler les courses UCI afin de monter dans les classements. Nous récoltons aussi des points lors des Championnats Nationaux. Je mets toujours l’accent sur l’importance de se battre pour chaque point.
« Je suis tellement fier d’eux ! J’aime regarder les équipes qui nous entourent dans le classement et me demander de quel type de budget elles disposent. »
Son nom parle de lui-même : Mark West ne vient pas du Lesotho. Il est Gallois et a visité ce pays africain alors qu’il était instituteur, durant une année sabbatique. C’était il y a 25 ans et il est toujours là. Le Lesotho est son pays d’adoption et il ne voudrait pas qu’il en soit autrement. Son implication dans le cyclisme remonte à son année de congé, le jour où il a vu l’un de ses étudiants courir dans l’Afrique du Sud voisine :
« Il venait d’une communauté défavorisée et affrontait des gamins bien plus riches. Mais dans ce moment, il n’était pas un jeune homme pauvre et pouvait vraiment ressentir ce qu’il valait. »
On se souviendra que cet athlète devint Champion National, participa aux Jeux du Commonwealth 2006 à Melbourne et s’entraîna au satellite du Centre Mondial du Cyclisme de l’UCI à Potchefstroom, en Afrique du Sud.
En 2013, Mark West, qui avait passé huit ans au poste de Secrétaire Général de la Fédération Cycliste du Lesotho, débuta l’aventure ACE - The Sufferfest - Lesotho MTB Team. Le terme « ACE » est l’acronyme d’Academy of Cycling Excellence, mais, et c’est encore plus important, il permet à l’équipe de toujours figurer en tête des listes alphabétiques.
Une année après sa fondation, trois coureurs de l’équipe participaient à la manche de Coupe du Monde Mountain Bike UCI 2014 organisée à Pietermaritzburg (Afrique du Sud).
« Nous savions que nos coureurs se feraient rejoindre, mais nous leur avons fixé des objectifs en termes de nombre de tours à accomplir avant d’être hors course. Pouvoir se mêler aux meilleurs coureurs professionnels et apprendre d’eux est la plus belle expérience. Même si trois coureurs seulement étaient alignés, toute l’équipe était présente pour vivre cette expérience. »
L’un des coureurs du Lesotho qui se trouvaient à Pietermaritzburg était Phetestso Monese. A 31 ans, il est le membre le plus âgé de l’ACE - The Sufferfest - Lesotho MTB Team et il continue à savourer les opportunités que l’équipe lui offre : « Au début, je n’étais pas un très bon coureur. Mais maintenant, je suis devenu bien meilleur. Lorsque nous participons à des courses internationales, nous touchons une indemnité et parfois remportons des prix en espèces. Cela aide beaucoup ma famille, parce qu’avant nous n’avions rien. » Il continue:
« Avant que je rejoigne l’équipe, mes conditions de vie n’étaient pas bonnes. Je n’avais même pas de quoi acheter du pain pour le repas. »
Kathleo Manasi a 18 ans. Il est le plus jeune membre de la formation : « L’équipe m’a donné des objectifs, ce qui m’a détourné de mauvaises choses, comme la drogue par exemple. J’ai beaucoup appris en en devenant membre », reconnaît-il.
Alors quels sont les buts de l’équipe pour 2016 ? Participer à 15 épreuves internationales, remporter au moins trois titres nationaux, préparer une équipe compétitive pour les Jeux du Commonwealth 2018 et 2022, et se qualifier pour les Jeux Olympiques de Rio 2016.
Ce dernier objectif pourrait sembler hors de leur portée : suite à des problèmes de financement, les coureurs n’ont pas été en mesure de prendre part aux Championnats d’Afrique 2015 organisés au Rwanda, étape clé dans l’optique d’une qualification pour les athlètes africains.
« Perdre sans même pouvoir courir a été extrêmement dur ».
Néanmoins, West demeure optimiste: « Mais je n’aimerais pas écarter complètement la possibilité (de qualification) étant donné que nous sommes bien placés dans les classements internationaux et deuxièmes Africains dans les classements de qualification olympique UCI. »
Son optimisme est contagieux, et même si ça ne marche pas pour Rio 2016, il y a plein d’autres raisons de se réjouir, en particulier les Championnats Continentaux Africains qui se dérouleront du 30 mars au 3 avril au… Lesotho.
Organisés par la Fédération Cycliste du Lesotho dans la station de ski d’Afriski, les Championnats Continentaux devraient attirer quelque 200 participants de plus de 10 pays. Le Lesotho a l’habitude d’accueillir des épreuves de mountain bike, notamment une course par étapes UCI de classe 1, la Lesotho Sky, mais ce sera la première fois qu’elle organisera des Championnats Continentaux. Mark West fait partie du comité d’organisation en tant que Directeur Technique. Il s’attend à ce que la compétition soit rude pour ses coureurs, dont le meilleur résultat au niveau continental est une 7e place obtenue par Phetestso Monese en 2013.
« Depuis lors, le cyclisme africain a beaucoup progressé, alors il sera difficile de faire aussi bien cette année. L’Afrique du Sud enverra tous ses meilleurs coureurs qui se battent pour être sélectionnés dans leur équipe pour Rio 2016. Je serais extrêmement heureux si l’un de nos coureurs terminait dans les 10 premiers. Nous nous réjouissons aussi beaucoup de voir nos premières coureuses participer à des courses continentales cette année. »
« Nous faisons de la détection de talents sur les courses locales, explique West. Il y a de jeunes coureurs qui viennent sur les courses avec des vélos qui ne sont pas adaptés à la compétition, alors ce n’est pas toujours les coureurs les plus rapides qui nous intéressent, mais aussi ceux qui s’en sortent le mieux avec un matériel médiocre. Nous ne regardons pas seulement la performance, mais également le caractère, le comportement, la détermination et l’environnement familial. »
Faire fonctionner une équipe avec un budget limité représente un gros défi, mais West reconnaît qu’il y a des raisons d’être reconnaissant, en particulier envers une solide structure de soutien composée de partenaires et de sponsors, regroupés sous le hashtag #DreamMakers.
Grâce à leur soutien, tous les coureurs de l’équipe sont maintenant bien équipés pour les courses, même si cela s’est fait au prix d’une diminution du nombre de déplacements en 2015.
« Comme notre priorité consistait à améliorer notre équipement, nous n’avons pas pu participer aux manches de la Coupe du Monde UCI l’an passé, explique West. Mais au moins, tout le monde dispose aujourd’hui d’un vélo de compétition. A Pietermaritzburg en 2014, deux de nos coureurs – de catégorie Elite et U23 – avaient dû se partager un même vélo. »
West trouve difficile de pointer un temps fort particulier depuis la création de l’équipe, mais il finit par mentionner le podium de Teboho Khantsi lors de l’épreuve mountain bike du Ficksburg Cherry Festival, en Afrique du Sud, en novembre dernier : « Ce n’était pas une grande course, mais quelques-uns des meilleurs professionnels sud-africains étaient là. »
Parmi les moments mémorables, il cite aussi le jour où il a reçu un e-mail du constructeur de cadres Tom Ritchey les félicitant pour leurs performances.
Mark West conclut : « Et chaque fois que je vois l’équipe courir, c’est un temps fort. »