Vivre sur la route, avec la soigneuse Sara Clawson

Demandez à Sara Clawson ce que son rôle de soigneuse implique lors d’une journée typique de course et vous recevrez par e-mail une liste incroyablement fournie, qu’elle conclut d’un candide « voilà, en résumé ». Un très long résumé.

Reproduire la liste ici prendrait beaucoup trop de place, mais une chose est sure : elle est capable de répondre à toutes les attentes. Titulaire d’un master en médecine du sport, Sara Clawson suit actuellement un doctorat en kinésiologie. Cette masseuse diplômée, qui dispose de son propre cabinet, à Greensboro, en Caroline du Nord (États-Unis), ne rechigne pas à accomplir les tâches plus ingrates du métier de soigneur. Elle explique:

« Les soigneurs sont au cyclisme ce que les grooms sont aux courses hippiques ».

« Ils apportent aux coureurs toutes les attentions dont ils ont besoin, sur le vélo et en dehors. Ils sont masseurs, conseillers, spécialistes en nutrition et en hydratation, psychothérapeutes, chauffeurs et confidents. »

Les tâches annexes, comme la préparation des repas et des bidons, contribuent selon elle au bon fonctionnement général de l’équipe, à sa sécurité, à sa santé et à son succès : « Il n’y a pas que les massages et l’effervescence de la course, les détails sont importants. »

Alors que la grande majorité des soigneurs sont diplômés de médecine du sport, les rudiments du métier s’apprennent surtout sur le tas. Ce qui n’est pas donné à tout le monde. « Les soigneurs doivent garder leur calme dans des conditions extrêmes, improviser en permanence et dispenser les meilleurs soins possibles avec des ressources souvent limitées », souligne l’Américaine.

Ils font également les courses, la cuisine, la vaisselle et la lessive. Ils préparent les bidons et les musettes, lavent les voitures de l’équipe… Ce n’est pas toujours très glamour, mais Sara Clawson a pourtant eu l’idée de se lancer en tombant sur une liste des « 10 pires métiers du sport ».

« Soigneur arrivait au neuvième rang et je me suis dit que c’était ce qu’il me fallait », sourit-elle.

Elle a débuté comme bénévole, pour une équipe junior, sur le Tour de l’Abitibi, au Canada. « Je n’avais jamais travaillé aussi dur gratuitement et j’ai adoré. »

Elle a ensuite collaboré avec la Fédération américaine, USA Cycling, principalement auprès des juniors masculins, mais également des équipes nationales Moins de 23 ans et Femmes. Sara Clawson a travaillé ces dernières années avec l’équipe féminine UCI américaine Sho-Air Twenty20 (anciennement Twenty 16 p/b Sho-Air), à temps plein en 2016, puis de façon contractuelle cette année afin de pouvoir jongler avec ses études et son cabinet privé.

« Lorsque tout se passe bien, le quotidien d’un soigneur est formidable Mais dans le cas contraire, cela peut vraiment être l’un des pires métiers du sport ».

« J’aime vivre sur la route, la diversité des paysages et des choses à accomplir et l’excitation de la course. J’aime aussi beaucoup rester à la maison avec mon mari et nos chiens et le confort de recevoir régulièrement des patients dans mon bureau. Les deux ont leurs avantages et j’ai beaucoup de chance de pouvoir choisir ce que je veux faire. »

Parmi la multitude de tâches incombant aux soigneurs, l’une des plus périlleuses est sans doute de tendre les musettes dans la zone de ravitaillement. « Il faut avoir les nerfs solides pour ne pas bouger lorsque les coureurs déboulent à 50 km/h. Il n’y a qu’à prier pour que leur instinct de survie soit aussi fort que le mien ! »

Sara Clawson n’oubliera jamais le jour où elle distribuait des bidons, « aussi vite que possible », à une douzaine de juniors américains, lors de la course d’une fête de village, en Belgique. L’un d’entre eux a non seulement attrapé le bidon, mais également le pouce de sa soigneuse, lui tordant littéralement le bras. Il lui aura fallu un an de kinésithérapie pour se remettre de cet incident, à cause duquel elle a envisagé à un moment de devoir renoncer à sa carrière de masseuse.

Vivre sur la route au sein d’une équipe est une expérience remplie de bons et de moins bons moments, à jamais gravés dans ses souvenirs, comme le contre-la-montre féminin des Championnats du Monde Route UCI 2015 de Richmond (États-Unis). Partie dans les premières positions, l’équipe Twenty 16 p/b Sho-Air avait conservé pendant un bon moment les commandes du classement.

« Les filles étaient épuisées à l’arrivée et il n’était pas simple de trouver son chemin à travers le Centre des Congrès, où devait se rendre l’équipe ayant réalisé le meilleur chrono », se souvient la soigneuse. « J’étais occupée à leur essuyer le nez et à leur laver le visage, au point d’oublier que tout était diffusé en direct à la télé ! Mais c’était sympa de vivre tout cela de l’intérieur après une belle performance. »

Les Mondiaux ont en revanche tourné au vinaigre, l’année suivante, au Qatar, où elle a manqué l’intégralité de la course après avoir été empêchée d’accéder en voiture au parcours et s’être perdue, en compagnie de la responsable de l’équipe, Nicola Cranmer, en essayant de trouver un raccourci. « Google Map ne semblait pas vraiment vouloir fonctionner et tous les panneaux étaient en arabe », raconte Sara Clawson. « Nous avons tout d’un coup réalisé que deux femmes esseulées n’avaient pas grand-chose à faire à cet endroit. Nous avons finalement croisé un bus, que nous avons pu suivre jusqu’à une zone un peu plus habitée. Nicola cherchait désespérément un moyen de suivre la course, mais nous avons tout raté, même l’arrivée. »

Pour avoir évolué dans les deux environnements, la soigneuse note des différences sensibles entre les juniors masculins et les femmes : « J’apprécie les deux, mais j’ai plus en commun avec les coureuses. Nous avons plus ou moins le même âge et les mêmes préoccupations dans la vie de tous les jours : le mariage, la famille, des parents vieillissants, notre avenir. Je pourrais en revanche être quasiment la mère des juniors, avec lesquels j’ai davantage un rôle de mentor. »

« C’est également différent au niveau de la nourriture », poursuit-elle. « Lorsque je fais les courses pour une équipe féminine, j’ai l’impression de nourrir une famille. Pour une équipe masculine, c’est comme si j’organisais une fête entre voisins. Et pour les juniors, j’ai l’impression de nourrir toute une armée ! »

Contrairement à ce que l’on pourrait penser, elle ne trouve pas les femmes plus émotives que les hommes. « Les émotions sont aussi fortes des deux côtés dans le feu de l’action », assure-telle, rappelant que le soigneur doit aussi bien s’occuper de l’état psychologique que physique des athlètes. « Les soigneurs sont en première ligne de la bataille contre la fatigue, les blessures, la déshydratation, l’écroulement mental et le supplice de la défaite. »

Cette diversité plaît beaucoup à Sara Clawson, consciente malgré tout qu’elle ne pourra pas poursuivre jusqu’à l’âge de la retraite ce travail sans temps-mort : « Je sais que ma carrière de masseuse à temps plein n’est pas extensible à l’infini. Je pense qu’il me reste une dizaine d’années avant que mes mains ne soient plus capables de suivre. Je me tournerai sans doute ensuite vers l’enseignement. C’est la raison pour laquelle je poursuis un doctorat. »

Elle souhaiterait idéalement mettre sur pied un programme de formation à destination des futurs soigneurs afin qu’ils n’apprennent pas uniquement sur le tas ce métier particulièrement stressant. Cette ancienne cycliste universitaire, fan de vélo et aventurière, n’est pas prête en tout cas à couper totalement les ponts avec le monde du cyclisme.

« Je prendrai toujours énormément de plaisir à évoluer dans cet univers, au milieu des cyclistes », conclut-elle.