En août dernier, l’annonce du parcours de la course en ligne féminine de Tokyo 2020 a suscité un débat sur les différences entre les tracés masculin et féminin. Marianne Vos, représentante des coureurs sur route à la Commission des Athlètes UCI, juge positivement le parcours olympique, mais elle a aussi des idées pour l’amélioration du cyclisme féminin.
Marianne, Anna Van Der Breggen a enfin remporté la course en ligne Femmes Elite aux Championnats du Monde UCI à Innsbruck, fin septembre. Le maillot arc-en-ciel lui échappait depuis des années. Que pensez-vous de la course et du résultat ?
J’étais aux Etats-Unis et je venais de me réveiller quand j’ai allumé la télévision pour voir l’attaque d’Anna. L’équipe néerlandaise était la meilleure, les coureuses l’ont prouvé ces dernières années. Quand Anna est partie, l’équipe néerlandaise contrôlait parfaitement le peloton et j’étais sûre qu’elle allait réussir. Elle avait été excellente sur les épreuves contre la montre plus tôt dans la semaine et elle était plus que déterminée pour la course en ligne. Anna m’a aidée sur deux de mes titres mondiaux en 2012 et 2013, et après tant d’années si proche du trophée, je pense qu’elle mérite cette victoire. La voir avec le maillot arc-en-ciel fera plaisir. Je pense que c’est bon d’avoir Anna comme l’une des prétendantes dans les courses en tant que Championne du Monde. Sa victoire n’avait rien à voir avec de la chance, elle avait près de quatre minutes d’avance sur la ligne.
Quand le parcours de la course en ligne olympique de Tokyo 2020 a été annoncé, vous avez tout d’abord été sceptique. Pourquoi ?
Sceptique, oui, et je le suis toujours un peu. Mais ma réaction n’était pas aussi vive que vous avez pu le comprendre, elle était plus nuancée. Au début, je pensais que ça allait être un circuit en ville, ce qui n’est évidemment pas idéal pour une course en ligne olympique : il faut un parcours traversant des sites intéressants et difficile qui est intéressant pour les athlètes, les spectateurs et les téléspectateurs. L’UCI a donc pris la bonne décision de prévoir la course en dehors de la ville, parce que les paysages sont spectaculaires à côté de Tokyo, ce qui est parfait pour l’UCI et le cyclisme, mais aussi pour le pays d’accueil. En regardant les cartes, ce sera un parcours plus difficile, mais c’est également clair que le parcours féminin a des caractéristiques différentes de celui des hommes : pas d’ascension des monts Fuji et Mikuni. Je ne pense pas qu’il soit nécessaire d’avoir un tracé identique, mais c’est une bonne chose d’avoir les mêmes éléments, pour que les spectateurs et les téléspectateurs comprennent les points cruciaux de la course. Les caractéristiques étaient différentes et c’est la raison de ma première réaction après l’annonce du parcours.
Un des facteurs essentiels de la course est la distance. Quel effet ont eu les différentes distances de course pour les hommes et les femmes sur la conception du parcours ?
J’ai posé des questions sur les parcours et l’UCI a expliqué l’envie de sortir de Tokyo. Pour moi, en prenant en compte les Règlements de l’UCI 1 sur les distances de courses, ce parcours qui commence à Tokyo et finit au Fuji Speedway est très bon. Le parcours féminin mesure 137 km – 234 pour les hommes –, mais il reste très dur avec près de 2’700 mètres de dénivelé positif, soit plus de 1’000 mètres de plus qu’à Rio en 2016 ! Un sondage a été soumis aux coureuses et près de 90 % étaient contentes du parcours olympique, qui est assez exigeant et difficile pour que la course soit sélective.
Le parcours contient plus de dénivelé positif que beaucoup de courses de l’UCI Women’s WorldTour et plus que le parcours olympique de Rio 2016. Pensez-vous que ce dénivelé sera un facteur déterminant sur cette course ?
La longue ascension dure environ 40 kilomètres, ce qui ne sera pas sans conséquence sur les jambes. Ce n’est pas raide, mais ça s’intensifie à la fin, donc les meilleures grimpeuses auront leur chance d’attaquer. Mais après cela, il reste encore beaucoup de chemin à parcourir. Donc je m’attends à une course sélective. Certaines coureuses seront en difficulté dans la première partie avec des ascensions plus longues, mais la course sera effrénée sur le dernier tour du circuit du Fuji Speedway. Je pense que les favorites chercheront à se ménager jusqu’à ce moment et ensuite placer leur attaque sur les collines du circuit : ces ascensions seront bien plus dures qu’elles n’en ont l’air.
Le peloton aux Jeux Olympiques est plus petit que dans l’UCI Women’s WorldTour et aux Championnats du Monde UCI. Cela a-t-il un effet sur la course ?
67 coureuses seront dans le peloton sur la course en ligne olympique, avec seulement quelques coureuses dans chaque équipe, donc ces 137 kilomètres semblent être une distance très raisonnable pour un peloton deux fois plus petit que sur les courses du WorldTour ou des Championnats du Monde2. Je pense vraiment que le parcours est assez dur. S’il était plus dur, de nombreuses coureuses ne pourraient pas finir.
Le temps devrait être chaud et humide au moment des Jeux Olympiques. Cela aura-t-il un effet sur la course ?
La chaleur et l’humidité rendront l’épreuve difficile. La plupart des athlètes se rendront tôt à Tokyo pour s’adapter au climat, à la chaleur et à l’humidité. C’est un facteur très important. Les conditions seront très dures pour beaucoup de coureuses.
Prévoyez-vous une préparation spéciale sur les deux prochaines années pour pouvoir gérer ces conditions ?
Nous nous attendions au même climat pour Pékin 2008, nous avons donc fait beaucoup de tests en laboratoire, avec la chaleur et l’humidité, pour savoir comment le corps réagit, quelle quantité il faut boire. Nous sommes allées là-bas très tôt pour nous acclimater. Vous ne pouvez pas arriver trois jours avant la course, il faut s’y préparer en avance. La course en ligne olympique aura un gros impact sur toute la saison.
Les gradins devraient être remplis sur la ligne d’arrivée au circuit automobile du Fuji Speedway. L’ambiance devrait être spéciale. Êtes-vous plutôt contente à cette idée ?
Je n’y suis jamais allée, mais je ne peux qu’imaginer le paysage spectaculaire avec le mont Fuji en arrière-plan. J’espère que la course sera passionnante pour les coureuses et les spectateurs. Après notre entrée sur le circuit, il nous restera un tour à faire, donc les spectateurs pourront nous regarder sur les écrans géants et il y aura de la ferveur sur le dernier tour. Le circuit est vallonné et sélectif et je suis sûre qu’il y se passera des choses.
Avez-vous déjà connu des lignes d’arrivée dans des endroits comme un circuit automobile ?
C’est fascinant de terminer sur un circuit automobile. La route est large, mais les montées sont souvent plus dures qu’elles n’en ont l’air. J’ai connu des arrivées comme celle-ci en Europe, sur le circuit de Spa-Francorchamps en Belgique. On peut voir au loin, il n’y a nulle part où se cacher. Le timing sera capital.
Comment pensez-vous que la course se terminera : une petite échappée, une plus grande ou autre chose ?
On ne peut pas dire ce qu’il va se passer, mais je ne m’attends pas à un sprint massif après autant d’ascension. En regardant le parcours, un petit groupe pourrait très bien attendre le dernier kilomètre. Donc sûrement un sprint dans une petite échappée. Mais si une coureuse est en grande forme, une échappée en solitaire est également envisageable. Il y a peu de contrôle avec un petit peloton. En réalité, les meilleures pourront jouer crânement leur chance.
Comment voyez-vous le futur de la course en ligne féminine en général et de la course en ligne olympique en particulier ?
L’UCI a augmenté la distance maximum pour les courses féminines à 160 kilomètres, et j’en suis ravie. Pour parler spécifiquement des JO, pas besoin d’avoir exactement le même parcours, et si vous regardez les courses en ligne olympiques de Rio, les hommes ont fait deux fois plus de tours que les femmes, mais personne n’a remis le parcours en question parce qu’il contenait les mêmes caractéristiques. Ce n’était pas possible d’avoir deux tracés identiques pour Tokyo, mais en ayant vu ce qu’ils ont fait et les possibilités, c’est un excellent parcours.
Pour moi, les quotas sont le gros problème de demain : le cyclisme féminin est en développement, et je pense qu’il serait bon pour l’équité et la course elle-même d’avoir les mêmes quotas entre les femmes et les hommes. Je suis contente de voir que l’UCI se penche sur un changement de participation pour Paris 2024 en termes de quotas. J’espère que le nombre de coureuses changera à l’avenir.
1 Conformément aux Règlements UCI, les distances de course aux Jeux Olympiques et aux Championnats du Monde vont de 250 à 280 km pour les hommes et de 130 à 160 km pour les femmes.
2 Le peloton de départ est plus réduit aux JO qu’aux Championnats du Monde Route UCI (130 contre 200 pour les hommes, 67 contre 140 pour les femmes).