La famille Van Der Poel a pris ses quartiers dans un bed and breakfast retiré, aux portes de Koksijde, Belgique. Adrie, le papa, et ancien Champion du Monde 1996, range les vélos dans le camion. Corinne, la maman, Poulidor de son nom de jeune-fille, et fille du plus célèbre des deuxièmes du Tour de France, s’affaire dans la maison. David, 22 ans, patiente dans la chambre, étendu sur son lit. Son frère, 19 ans, est lui déjà sur la table de massage. Il y a aussi le masseur, le mécano. C’est le cercle restreint de la dynastie Van Der Poel, veillant au succès de la fratrie. En ce vendredi 21 novembre, les deux frères sortent de l’entraînement. 5, 6 tours du parcours sablonneux dans les dunes de Koksijde, sur les bords de la mer du Nord, théâtre de la deuxième manche de la Coupe du Monde Cyclo-cross UCI, édition 2014-2015.
Mathieu est allongé, David est devant lui, attablé. « On a toujours été ensemble, ça nous ferait bizarre de ne pas être dans la même équipe », explique l’aîné des Van Der Poel. Des années de parcours commun chez les juniors puis chez les espoirs, et depuis un an, les deux garçons en U23 sous le même maillot, celui de BKCP-Powerplus. En 2013 à Hilvarenbeek, les frères partagent la gloire nationale, chacun dans sa catégorie : titre de Champion des Pays-Bas Junior pour Mathieu, Espoir pour David. « C’était un jour très spécial, j’ai été champion le matin, et David l’après-midi », se souvient la cadet, sous les yeux d’Adrie qui en a terminé avec le camion.
Fratrie nourrie d’exploits cyclistes perpétués à travers les générations. Raymond Poulidor, Adrie Van der Poel (6 fois Champion des Pays-Bas), les oncles Henri Poulidor et Jac Van Der Poel, et maintenant David et Mathieu. Difficile cependant de ne pas voir ce qui sépare les deux coureurs. David aime sillonner l’Europe du cyclo-cross quand son frère ne jure que par la Belgique. « C’est plus relax ailleurs », glisse l’aîné, qui va sur des courses en Suisse ou au Luxembourg. « Les meilleurs sont en Belgique », rectifie le plus jeune, qui a fait l’impasse sur l’étape anglaise de Milton-Keynes. Son frère milite pour « une manche de Coupe du Monde par pays » quand Mathieu ne voit que Koksijde, Namur, Zolder…terres de crossmen par excellence.
La route est plus « tactique » (Mathieu Van Der Poel)
Adrie observe l’échange entre ses deux rejetons. Les nuances s’expriment sur le terrain. « David est trop gentil, il pense trop à aider », soupire-t-il. L’aîné, 6e aux Championnats du Monde 2014 à Hoogerheide (Pays-Bas) quand son jeune frère à fait 3e, admet. « Quand je n’ai pas les jambes, je préfère travailler pour les autres… » Sous les mains du physio, David ne bronche pas. Il n’aime tout simplement pas ne pas avoir les jambes. Cette saison, la forme progresse. 6e à Valkenburg en U23, 3e à Koksijde en Elite, 2e à Namur en U23. Mais Wout Van Aert, Champion à Hoogerheide, se trouve régulièrement encore en travers de sa route ; en Wallonie par exemple où le prodige belge a levé les bras alors que Mathieu menait la course avant de chuter par deux fois. Les encouragements de son grand-père Raymond n’ont rien pu y faire. « Il a beaucoup progressé en un an, plus que moi, il faut que je travaille. »
Mathieu garde le regard fixé sur la date du 28 septembre 2013. Loin de la boue du cyclo-cross. A Florence (Italie), il remporte l’épreuve de la course en ligne des Championnats du Monde Route UCI chez les Juniors. Victoire arc en ciel. « Ma plus grande. » Lui qui ne compte que sur ses jambes en cyclo-cross, évoque la route et sa « tactique », la science du peloton. Comme leur père, qui a multiplié les Grands Tours dans les années 80, les fils Van Der Poel alternent l’off road en hiver avec la route en été. Mais depuis qu’il est passé chez les U23, avec des incursions en Elite, Mathieu découvre l’âpreté du très haut niveau. « Pour le moment, on continue comme cela, avec la route pour préparer le cyclo-cross », explique Adrie. Sur le circuit de F1 de Heusden-Zolder, Mathieu ira pour la gagne, déterminé à rééditer l’exploit de la saison passée.
Après l’ultime escale de la Coupe du Monde UCI à Hoogerheide (25.01), la saison prendra fin à Tabor (République tchèque), avec les Championnats du Monde UCI (31-01-02.02). La course des U23 aura lieu le 1er février, une dizaine de jours après que Mathieu ait fêté ses 20 ans. Le parcours lui a toujours réussi, chez les juniors comme chez les espoirs. « C’est rapide, j’aime bien. » Il y retrouvera Van Aert à qui il tentera de prendre la tunique irisée.
David s’installe à son tour sur la table de massage, pendant que Mathieu, comme un pro, s’éclipse dans sa chambre. On ne badine pas avec la récupération. L’ambition se construit jour après jour.