Première colombienne au Tour de France

35 ans après l’arrivée des Colombiens sur le Tour de France, Egan Bernal a signé une première victoire pour son pays dans une édition historique qui a également enchanté le pays organisateur.

Après que Julian Alaphilippe eut honoré le centenaire du maillot jaune par une odyssée de quatorze jours en tête du classement général, Bernal est devenu, à 22 ans, le deuxième plus jeune coureur à ramener la tunique dorée à Paris (après Henri Cornet, lauréat en 1904 après le déclassement des quatre premiers).

« J’ai le sentiment que ceci n’est pas seulement mon triomphe mais celui d’un pays tout entier, a déclaré Bernal. Nous avions déjà le Giro (Nairo Quintana en 2014) et la Vuelta (Luis Herrera en 1987 puis Nairo Quintana en 2016), mais le Tour manquait, et être le premier Colombien à le remporter est un immense honneur. Gamin, je regardais le Tour à la TV avec mon père et on se disait que ce serait formidable d’y participer un jour ; mais le gagner est au-delà de tout ce que j’aurais pu imaginer. »

Le Grand Départ était organisé en Belgique, et précisément à Bruxelles, en l’honneur d’Eddy Merckx, cinquante ans après sa première victoire dans le Tour de France, en cet extraordinaire été 1969 du premier pas de l’Homme sur la lune. « Are you r’Eddy ? », interrogeait le slogan de l’évènement dans la capitale du pays européen le plus épris du sport cycliste. « Prenez exemple sur la manière de courir d’Eddy Merckx ! », avait exhorté Christian Prudhomme, le directeur du Tour de France, à l’adresse des coureurs dans son meeting général d’avant-Tour.

Il a été entendu. Avant que les Belges n’accumulent les victoires d’étapes par l’intermédiaire de Dylan Teuns, Thomas De Gendt et Wout van Aert, et que Tim Wellens ne déchaîne les passions par ses quinze jours en maillot à pois, les voisins néerlandais, pourtant privés de la participation de leur tête d’affiche Tom Dumoulin, ont frappé fort.

Aucun Néerlandais n’avait endossé le maillot jaune depuis Erik Breukink en 1989. Dylan Groenewegen était attendu pour combler ce vide, mais il a chuté dans le final de la première étape, et son coéquipier et compatriote Mike Teunissen, prêt à le lancer, s’est substitué à lui pour devancer Peter Sagan sur la ligne d’arrivée tracée aux abords du Palais royal. L’euphorie s’est prolongée dans le camp de Jumbo-Visma par une victoire dans le contre-la-montre par équipes annonciatrice d’une place sur le podium final pour Steven Kruijswijk.

Ce n’est pas tous les ans que les coureurs tirent le meilleur profit du terrain de jeu mis à leur disposition avant les montagnes. Cette fois-ci, Julian Alaphilippe a enflammé la course dans les vignes de Champagne pour une première victoire d’étape, en côte, à Epernay.

L’arrivée à Nancy est restée dans la tradition d’une majorité de vainqueurs italiens dans la cité lorraine restée fortement marquée par des vagues d’immigration transalpine dont la descendance la plus célèbre est le footballeur Michel Platini. 70 ans après Fausto Coppi, Elia Viviani s’est imposé à Nancy au début d’un Tour qu’aucun sprinter n’allait dominer comme Mark Cavendish, Marcel Kittel et André Greipel dans les éditions précédentes. Il a fallu attendre la 16e étape pour qu’un sprinter s’impose une deuxième fois, à Nîmes, lorsque Caleb Ewan, pour sa première participation au Tour de France, est devenu le plus jeune vainqueur d’étape des trois Grands Tours depuis Nino Defilippis en 1956.

Avant l’Australien, le Sud-Africain Daryl Impey a détourné le Tour de ses vainqueurs d’étapes issus des pays cyclistes traditionnels en s’imposant à Brioude, ville natale de Romain Bardet qui a poussé le paradoxe jusqu’à terminer en maillot à pois le Tour de France où il s’est le plus éloigné de ses objectifs en termes de victoires d’étapes et de classement général – mais ce dernier a touché le cœur des internautes en postant une photo de 1996 où, déjà porteur d’un t-shirt blanc à pois rouges à l’âge de six ans, il encourageait Richard Virenque et Luc Leblanc sur la route du Tour, avec son père.

Quand la course s’est approchée des Pyrénées, un vent de folie avait déjà envahi la France, car Julian Alaphilippe prolongeait son règne en jaune entrecoupé de deux journées où le maillot a été porté par le meilleur grimpeur du Giro Giulio Ciccone, autre jeune premier. Transcendé, le numéro un mondial UCI a même remporté le contre-la-montre de Pau, précisément le jour anniversaire du maillot jaune, et Thibaut Pinot a décroché l’étape-reine au sommet du Tourmalet, sous les yeux du Président de la République Emmanuel Macron, prenant sa revanche sur le temps perdu dans les bordures en direction d’Albi (avant de connaître un nouvel abandon cruel, sur blessure).

Quand le Champion d’Europe Matteo Trentin s’est imposé à Gap, est apparue l’évidence que les trois quarts des vainqueurs sur le Tour de France 2019 provenaient d’autres disciplines cyclistes que la route : cyclo-cross pour van Aert et Alaphilippe, cyclo-cross et mountain bike pour Sagan, piste pour Ewan et Viviani, jusqu’à ce qu’un double médaillé Juniors aux Championnats du Monde Mountain Bike UCI succède à Alaphilippe en tête du classement général. Bernal est passé le premier sur le toit du Tour, le col d’Iseran (2’770m), et les temps de l’étape se sont arrêtés là car un orage de grêle et des éboulements formant des coulées de boue ont rendu impraticable la route menant à Tignes. Mère Nature a rendu ce Tour de France extraordinaire jusqu’à la fin.