La croissance du cyclisme sur route féminin est l’une des belles réussites de ces dernières années, mise en évidence plus tôt cet été par la première édition du Tour de France Femmes avec Zwift. L'événement s'est avéré être un succès retentissant, avec des centaines de milliers de spectateurs massés sur le bord des routes pour encourager les championnes, parmi lesquelles Annemiek van Vleuten qui s’est envolée vers la victoire. Et, selon les recherches, la leader de de Movistar Team a roulé à une intensité plus élevée que ses homologues masculins. Explications…
Profils physiques
Le Dr Teun van Erp est expert en données pour l’UCI WorldTeam Ineos Grenadiers après avoir passé neuf saisons avec le Team DSM. Au sein de l'équipe allemande, il a étudié le profil des courses féminines et masculines en recueillant des données auprès de dix cyclistes féminines et de vingt cyclistes masculins pendant quatre saisons consécutives. Sans surprise, les caractéristiques physiques des cyclistes variaient considérablement. En moyenne, les femmes étudiées mesuraient environ 170 cm, pesaient 61 kg et développaient une puissance maximale de 256 watts sur 20 minutes. Le profil masculin était de 185 cm, 73 kg et un maximum de 389 watts sur 20 minutes.
Cette différence de puissance est fortement due à la testostérone et aux fibres musculaires à contraction rapide. L'hormone testostérone joue un rôle essentiel dans la croissance musculaire, et les hommes possèdent naturellement plus de fibres musculaires à contraction rapide, ce qui peut générer des niveaux de puissance plus élevés, mais tout en entraînant de la fatigue plus rapidement.
En ce qui concerne les profils de courses, là encore, il y avait des différences attendues. Les hommes ont effectué beaucoup plus de jours de course que les femmes. Ils peuvent être amenés à parcourir 200 km par jour, et les courses par étapes les plus longues se déroulent sur trois semaines. Pour les femmes, la distance maximale sur une journée est d'environ 160 km, tandis que la course par étapes la plus longue est le Giro d'Italia Donne qui comprend 10 jours de course.
Des compétitions intenses
Jusque-là, l'article publié dans l'International Journal of Sports Physiology and Performance ne réservait aucune surprise. Jusqu'à ce que Van Erp et son équipe étudient les profils d'intensité des courses. Après avoir parcouru de grandes quantités de données sur la puissance et la fréquence cardiaque, ils ont découvert que les coureuses disputaient leurs épreuves à une intensité plus élevée que les hommes, malgré ces différences génétiques. Alors que les hommes ont passé seulement 3 à 4 % d'une course dans la zone cinq (environ 106 à 120 % de la puissance de seuil fonctionnelle, FTP), cela correspondait à 12 % du temps de course chez les femmes, soit trois à quatre fois plus de temps. La zone quatre (91-105 % du FTP) connaissait une tendance similaire, les hommes y évoluant pendant 20 % d'une course contre 33 % pour les femmes.
La raison de cette différence est fortement liée à la distance et aux tactiques de course. Alors que les hommes peuvent passer une bonne partie d’une longue journée en selle à un rythme relativement modéré (si l'étape est pour les sprinteurs plutôt que pour les grimpeurs, bien sûr), le parcours plus court des courses féminines entraîne moins de temps morts, car elles se battent pour être aux avant-postes dès le départ. C'est important, car le programme d'entraînement de chaque cycliste est adapté à ce qu’il ou elle doit produire en course. Van Erp suggère donc qu'il serait plus efficace pour une coureuse de faire, par exemple, une sortie de trois heures avec cinq efforts intenses de cinq minutes, tandis qu’un homme ferait des efforts similaires mais sur une période de cinq heures.
Lutter contre la fatigue
Van Erp a mené des recherches complémentaires, publiées cette année dans le European Journal of Sport Science. L'article, intitulé « Les exigences des courses cyclistes professionnelles féminines : influence du niveau et de la durée de la course (événements d'une ou plusieurs journées) », a été co-écrit avec le Professeur Robert Lamberts de l'Université de Stellenbosch (Afrique du Sud).
Les données analysées sont celles de 14 cyclistes professionnelles (166 cm et 57,3 kg en moyenne) entre 2013 et 2019. Ces cyclistes faisaient toutes partie de la même équipe cycliste professionnelle féminine, qui en plus de concourir au plus haut niveau était classée parmi les dix meilleures équipes cyclistes féminines.
Des études avaient déjà démontré que, dans les rangs masculins, les différents niveaux de course et le format (épreuves d’un jour ou par étapes) amenaient des exigences d’intensité, de charge et de performances différentes. Les auteurs ont donc fait l’hypothèse qu’il en serait de même dans les courses féminines.
Qu'ont-ils trouvé ? Fait intéressant, en ce qui concerne les différents niveaux de cyclisme sur route, la charge et l'intensité ne variaient pas de manière significative. Mais il existait des différences substantielles entre les courses d'un jour et de plusieurs jours, « les courses d'un jour présentant plus de charge, et une charge par kilomètre et une intensité plus élevées ». En fait, il s'agit d'une différence plus importante que pour les courses masculines.
Cette baisse de puissance sur plusieurs jours est attribuée à la fatigue. Même si la course par étapes féminine la plus longue dure 10 jours, courir à une intensité plus élevée chaque jour signifie que la fatigue est plus marquée. De plus, comme la majorité des cyclistes féminines ont un volume d’entraînement inférieur à celui des hommes, cela pourrait les rendre moins résistantes à la fatigue.
Qu'est-ce que cela signifie ? En fin de compte, cette étude renforce la base sur laquelle les scientifiques du sport et les entraîneurs peuvent s’appuyer pour élaborer des plans d’entraînement plus spécifiques. Le cyclisme masculin a derrière lui des années de recherche et de publications scientifiques, tandis que le cyclisme féminin en a très peu. Grâce à des études comme celle de Van Erp, l’UCI Women’s WorldTour et ses championnes ne peuvent que devenir de plus en plus fortes.