Avez-vous déjà vu un vainqueur du Tour de France dompter les pavés belges avec une telle force qu'il en vient à conquérir le Tour des Flandres ? Entre les plus hauts sommets français et les monts les plus abrupts des Flandres, le contraste est immense. A tel point que la plupart des grimpeurs qui s'envolent en juillet sont généralement absents de la campagne des Classiques. Dimanche dernier a montré qu'il y a toujours des exceptions à la règle.
Les supporters belges ont commencé le mois d'avril comme ils le font traditionnellement : en se rassemblant devant leur télévision et sur le bord de la route pour célébrer le « Vlaanderens Mooiste » (« le meilleur de la Flandre »). Le héros local Wout van Aert (Jumbo-Visma) était là pour renverser le maître des lieux Mathieu Van der Poel (Alpecin-Deceuninck), vainqueur à Audenarde en 2020 et 2022. La puissance du duo est suffisante pour faire vaciller leurs rivaux... sauf Tadej Pogačar (UAE Team Emirates), brillant nouveau venu dans les Flandres l'an dernier après avoir remporté le Tour de France en 2020 et 2021.
Offensif comme toujours, le prodige slovène a trouvé un nouveau moyen de consolider la place déjà très particulière qu’il occupe dans l'histoire de son sport. Sur le bitume et les pavés du Ronde, il a attaqué, encore et encore, jusqu'à ce que Van der Poel et Mads Pedersen (Trek-Segafredo) soient les derniers rivaux à céder, dans la dernière ascension du Vieux Quaremont, à quelque 17 km de l'arrivée.
Supérieur, Pogačar n'a plus eu besoin de se retourner. Son magnifique solo – encore un – lui a permis de savourer sa nouvelle conquête. Il est le troisième vainqueur du Tour de France à remporter également le Tour des Flandres, après Louison Bobet en 1955 et Eddy Merckx en 1975. Une sacrée compagnie pour un champion qui n'a encore que 24 ans.
Grands Tours et Monuments
« Je pourrais être fier de ma carrière si je prenais ma retraite aujourd’hui, a déclaré Pogačar avec son sourire habituel. Je peux être super heureux et fier. »Enthousiaste, il a naturellement placé cette journée dans son panthéon personnel : « C'est un jour que je n'oublierai jamais. »
Depuis son irruption dans l'UCI WorldTour en 2019 (à 20 ans, il remportait déjà l'Amgen Tour of California et montait sur le podium de La Vuelta Ciclista a España avec trois victoires d'étape), le prodige slovène s'est inscrit dans l'histoire de manière irrépressible. D'abord, c'est sa précocité qui l'a fait sortir du lot. Aujourd'hui, c'est aussi sa polyvalence.
Au 21e siècle, aucun autre coureur n'a réussi à remporter plusieurs Tours de France et plusieurs Monuments. Pogačar compte désormais deux succès dans la Grande Boucle et il a conquis trois des plus prestigieuses courses d'un jour : Liège-Bastogne-Liège (en 2021), Il Lombardia (en 2021 et 2022) et maintenant le Tour des Flandres.
Une fois de plus, ce palmarès complet place le jeune Slovène dans un club très select, aux côtés de Merckx et Bobet, mais aussi de Fausto Coppi, Gino Bartali et Bernard Hinault. Et il l'a fait de manière spectaculaire, dans l'édition la plus rapide de l'histoire du Tour des Flandres (44,1 km/h). « Je n'ai jamais été aussi fort dans le Ronde qu'aujourd'hui, a déclaré Van der Poel, mais aujourd'hui, quelqu'un était plus fort. »
« Je vais essayer » de gagner à Sanremo et Roubaix
« Il sera comme Merckx, ou du moins il est en bonne voie pour le devenir, a ajouté Van der Poel. C'est le coureur qui a le plus de chances de remporter les cinq Monuments et les trois Grands Tours. Je pense qu'il y parviendra. »
Seuls trois coureurs ont réussi à remporter les cinq Monuments : Merckx et ses compatriotes belges Rik Van Looy (à cheval sur les années 1950 et 1960) et Roger De Vlaeminck (dans les années 1970). Parmi eux, Merckx est le seul à avoir également remporté le Tour de France, le Giro d'Italia et la Vuelta Ciclista a España. Et le « Cannibale » est également émerveillé par les exploits de Pogačar.
« Ce fut un moment extraordinaire, ça faisait longtemps que je n'avais pas pris autant de plaisir, savourait Merckx dans le journal L'Equipe après avoir assisté à la conquête des Flandres par Pogačar. Sa présence est une chance inouïe pour les passionnés, il relève le niveau comme rarement un coureur l'avait fait avant lui. C'est un modèle pour le cyclisme. »
« Je vais essayer, répond Pogačar lorsqu'on l'interroge sur la possibilité de remporter les cinq Monuments. Il nous reste Sanremo et Roubaix… » Il a déjà montré son punch dans le Poggio. Mais il ne s'est pas encore attaqué à l'Enfer du Nord. « Je crois qu'il faut que je prenne quelques kilos », sourit-il. En attendant, sa place dans l'histoire du cyclisme se renforce encore.