Un sport transformé ? Lever de rideau sur une nouvelle ère du cyclisme féminin

Le 1er février, à la Cadel Evans Great Ocean Road Race en Australie, une nouvelle ère a débuté pour le plus haut niveau du cyclisme sur route professionnel féminin.

Cette saison, l’UCI a instauré un système d’équipes à deux niveaux, avec huit UCI Women’s WorldTeams et 45 Equipes Continentales Femmes UCI. Les UCI Women’s WorldTeams sont les suivantes : Alé BTC Ljubljana (ITA), Canyon //Sram Racing (GER), CCC-Liv (POL), FDJ Nouvelle - Aquitaine Futuroscope (FRA), Mitchelton Scott (AUS), Movistar Team Women (ESP), Team Sunweb (GER) et Trek-Segafredo (USA).

L’ensemble des épreuves de l’UCI Women’s WorldTour devra obligatoirement être retransmises en direct à la télévision, ce qui garantira qu’un maximum de fans du cyclisme féminin puisse suivre les courses, en plus d’augmenter considérablement les opportunités économiques. En parallèle, la mise en place de nombreuses autres mesures et règlements pour les UCI Women’s WorldTeams (salaire minimal, congé maternité, obligation d’affiliation à la sécurité sociale, durée minimum obligatoire de partenariat pour l’équipe égale au nombre d’années de licence, augmentation de l’investissement dans la lutte contre le dopage et d’autres normes éthiques et financières) devrait contribuer à amplifier et garantir la transformation des plus hauts échelons du sport. Mais d’autres mesures d’envergure (telles que l’augmentation progressive du salaire minimum ou l’introduction de l’audit organisationnel), conçues pour venir renforcer celles qui entrent en vigueur en 2020, vont être implémentées tous les ans jusqu’en 2023.

Ces grands changements du cyclisme sur route professionnel féminin se traduisent déjà par des résultats concrets depuis le début de la saison 2020 ; d’autres, en revanche, ne seront apparents que dans les mois et les années à venir.

Cependant, sur le plan purement sportif, la domination des Pays-Bas devrait se poursuivre, du moins à court terme. Une équipe, la Boels Dolmans CyclingTeam, pourrait demeurer l’une des forces majeures au sein du peloton. La stabilité sportive au sommet du cyclisme sur route féminin contraste avec le cyclisme sur route masculin : en effet, chez les hommes, une nouvelle génération venant de différents pays – souvent peu connus comme terres de cyclisme – a commencé à bousculer l’ordre mondial en 2019, et cette tendance se poursuivra sans nul doute en 2020.

Bien que les Pays-Bas aient commencé l’année avec une nette avance au Classement Mondial UCI par pays, il serait hâtif de penser que les Néerlandaises en sont les seules animatrices. Malgré la puissance de leur collectif, l’Italienne Marta Bastianelli (Alé BTC Ljubljana) a fait douter les Néerlandaises plus d'une fois l’année dernière, remportant le Women’s WorldTour Ronde van Drenthe et le Tour des Flandres ; elle a également terminé dans le top 10 de 12 courses consécutives dans la première partie de la saison. Quatrième du Classement Mondial UCI individuel, l’ancienne Championne du Monde Route UCI a également remporté la Postnord UCI WWT Vårgårda WestSweden et les Championnats d’Italie. Tous les voyants sont au vert pour qu’elle continue sur sa lancée en 2020.

D’autres coureuses pourraient également venir mettre fin à la domination néerlandaise, notamment l’australienne Amanda Spratt (Mitchelton Scott) : déjà Championne Nationale en 2020 et multiple gagnante du Santos Tour Down Under (qu’elle a terminé troisième cette année), Spratt a cette capacité de gagner saison après saison dès le début de l’année. Par ailleurs, la luxembourgeoise Christine Majerus (Boels Dolmans CyclingTeam) a remporté le Boels Ladies Tour (NED), l’une des courses par étapes les plus longues et les plus difficiles de la saison 2019. Chaque saison depuis 2017, la polonaise Katarzyna Niewiadoma (Canyon // SRAM Racing) interrompt la domination néerlandaise sur au moins une course de l’UCI Women’s WorldTour : c’était le cas l’année dernière, aux Pays-Bas qui plus est, sur l’Amstel Gold Race Ladies Edition ! En outre, la Britannique Lizzie Deignan (Trek-Segafredo), ancienne porteuse du maillot arc-en-ciel, a fait un retour remarqué sur des courses par étapes comme l’OVO Energy Women’s Tour (GBR).

Les coureuses néerlandaises joueront indéniablement un rôle crucial dans le maintien ou non de la Boels Dolmans CyclingTeam au sommet du classement par équipes 2020 : certaines tenteront de conforter la supériorité de la formation, d’autres d’y mettre fin. Si Anna van der Breggen est un pilier du succès de la Boels Dolmans, d’autres coureuses néerlandaises connues comme Annemiek van Vleuten (Mitchelton Scott), Marianne Vos (CCC-Liv), Lorena Wiebes (ParkHotel Valkenburg), Ellen van Dijk et Lucinda Brand (toutes deux chez Trek-Segafredo) ainsi que Kirsten Wild (Ceratizit-WNT ProCycling Team) vont se battre au sein d’équipes rivales. N’oublions pas que la Boels Dolmans CyclingTeam a remporté « seulement » quatre des 23 courses de l’UCI Women’s WorldTour en 2019. Elle n'a toutefois laissé aucune chance à ses rivales au classement par équipes : avec 4’045 points, elle comptait plus de 1’000 points d’avance sur la deuxième, la Team Sunweb. Bien que la Boels Dolmans CyclingTeam soit la grande favorite de ce début de la saison, rien n’est joué d’avance.

Une autre question sportive concerne l’équilibre entre les UCI Women’s WorldTeams et les Equipes Continentales Femmes UCI. Les huit UCI Women’s WorldTeams ont presque toutes renforcé leur effectif, mais reste à savoir si cela suffira pour tenir à distance les 45 Equipes Continentales Femmes UCI durant une année complète. Une donnée très encourageante est le nombre d’équipes, qui, dans l’ensemble, ne cesse de croître, tout comme le nombre de coureuses dans le peloton professionnel féminin (630 en 2020 pour 580 en 2019). Par exemple, en Belgique, grand pays du cyclisme, le nombre d’Equipes Continentales Femmes UCI est passé de trois à six ; en Australie, une nouvelle Equipe Continentale, Roxsolt Attaquer, a vu le jour, et au Bahreïn, l’équipe féminine VIB – Natural Greatness a été enregistrée pour la première fois avec le statut d’Equipe Continentale Femmes UCI.

Les fans suivront de près les effets des changements opérés par l’UCI sur la structure globale du cyclisme et les efforts continus mis en œuvre pour développer le cyclisme sur route féminin dans son ensemble. Parmi les changements considérés comme très importants pour une plus grande visibilité dans les médias, citons la mise en place de l’UCI ProSeries, une nouvelle catégorie qui s’intercale entre l’UCI Women’s WorldTour et les épreuves des classes 1 et 2.

L’UCI ProSeries, constituée de 10 courses sur les 113 du Calendrier International Route UCI féminin en 2020, regroupe certains des événements considérés comme historiques, dont l’Internationale Lotto Thüringen Ladies Tour, disputé en Allemagne au mois de mai, organisé depuis 1988. D’autres événements de l’UCI ProSeries sont plus récents, mais pas moins ancrés dans le paysage : c’est le cas du Santos Women’s Tour Down Under en Australie au mois de janvier (remporté par Ruth Winder, de la Trek-Segafredo). D’autres événements, comme le Donostia San Sebastian Emakumeen Klasikoa, ne sont apparus que la saison dernière et ont d’ores et déjà atteint cette catégorie. Mais quel que soit leur passé, les courses de l’UCI ProSeries comme celles de l’UCI Women’s WorldTour ont toutes une chose en commun : aux deux plus hauts échelons de compétition, toutes les courses ont l’obligation, dès cette année, de respecter des normes d’organisation renforcées et de garantir des améliorations importantes quant à leur production TV.

En ce qui concerne le nombre d’épreuves inscrites, l’UCI Women’s WorldTour a été très légèrement modifié, le nombre d’événements étant passé de 23 à 21. Le calendrier 2020 sera marqué par l’absence de deux courses : l’Amgen Tour of California Women’s Race empowered with SRAM, seule épreuve UCI Women’s WorldTour d’Amérique du Nord, et le WWT Emakumeen XXXII.Bira, en Espagne, plus ancienne course du cyclisme féminin, jusqu’à présent. La Prudential RideLondon Classique fait maintenant partie de l’UCI ProSeries cette saison. Ce total de 21 courses UCI Women’s WorldTour demeure relativement stable et supérieur aux 17 épreuves qui figuraient au calendrier lors du lancement de la série en 2016. En outre, la promotion de la Cadel Evans Great Ocean Road Race au statut UCI Women’s WorldTour apporte une première épreuve basée en Océanie à ce calendrier. Mais cela veut également dire que la saison commence en février, bien plus tôt que les années précédentes, ce qui augmentera sans nul doute l’intérêt des médias et des fans.

Malgré la disparition de l’Amgen Tour of California Women’s Race empowered with SRAM, le cyclisme féminin a de quoi se réjouir sur le continent américain : quatre Equipes Continentales Femmes UCI américaines et deux nouvelles canadiennes se sont enregistrées pour 2020. Ajoutées aux équipes du Mexique, du Brésil et à l’UCI Women’s WorldTeam Trek-Segafredo, le continent américain compte désormais neuf équipes, soit près d’un cinquième du total des équipes féminines enregistrées auprès de l’UCI.

En même temps, le cyclisme sur route progresse dans d’autres parties du monde, notamment avec le retour des courses par étapes au Moyen-Orient, grâce au nouveau Dubai Women’s Tour, une épreuve de quatre jours organisée au mois de février. Toujours plus de courses féminines sont disputées en parallèle d’épreuves masculines, et cette tendance ne semble pas près de ralentir. Un exemple parmi d’autres est la Donostia San Sebastian Emakumeen Klasikoa : l’année dernière, la première édition de la course féminine a précédé la 39e édition de la Klasikoa masculine, et cette épreuve aura lieu en 2020 en UCI ProSeries.

Lorsque se pose la question de la domination sur ces épreuves, les noms des coureuses néerlandaises sont évidemment les premiers à venir à l’esprit compte tenu de leur statut. En tant que coureuse la plus titrée de sa génération – avec notamment la victoire au classement général de l’UCI Women’s WorldTour en 2019 –, Marianne Vos (dont le total de victoires avant 2020 se montait à 228) a remporté son tout premier titre sur la cinquième étape de la Gracia–Orlová en 2006. Le total de Vos dépasse largement celui de la deuxième plus titrée, Kirsten Wild, qui compte 109 victoires, mais également d’Annemiek van Vleuten (67 victoires), de l’ancienne Championne du Monde UCI du contre-la-montre Ellen van Dijk (54) et d’Anna van der Breggen (44).

L'année 2019 restera comme un grand cru pour les coureuses néerlandaises, même en prenant en compte leurs palmarès impressionnants : elles ont remporté 13 des 23 courses de l’UCI Women’s WorldTour. Le deuxième pays le plus titré était l’Italie avec quatre victoires, et aucun autre pays n’a décroché plus d’une victoire.

Parallèlement, la plus grande percée individuelle vient également des Pays-Bas. Lorena Wiebes (ParkHotel Valkenburg) a seulement 20 ans, mais elle décroche déjà des victoires au sprint les unes après les autres. Wiebes a commencé sa série victorieuse en 2019 sur la Danilth Nokere Koerse WE (une épreuve classée 1.Pro en 2020) en mars dernier, puis, au niveau UCI Women’s WorldTour, elle a remporté trois étapes et le général du Tour of Chongming Island UCI Women’s WorldTour, la Prudential RideLondon Classique, la première étape du Ladies Tour of Norway et les deux premières étapes du Boels Ladies Tour. Parmi ses 15 victoires en 2019, elle compte notamment la course en ligne des Championnats des Pays-Bas et des Jeux Européens. Elle a également, sans surprise, remporté le classement de la Meilleure Jeune de l’UCI Women’s WorldTour.

En 2020, Wiebes continuera-t-elle à briller de façon aussi spectaculaire pour devenir la meilleure sprinteuse du monde ? La planète cyclisme suivra évidemment sa progression de près. Sur des courses par étapes plus vallonnées et des courses d’un jour plus dures, où Wiebes n’a pas encore imposé sa patte, le classement général devrait là encore être dominé par d’autres coureuses néerlandaises, sans pour autant que l'on puisse annoncer que ces épreuves seront entièrement contrôlées par ces dernières.

L’échappée en solitaire autoritaire d’Annemiek van Vleuten aux Championnats du Monde Route UCI 2019, sur plus de 100 kilomètres, a montré de façon claire sa capacité, à 37 ans, à écraser ses rivales sur les événements vallonnés d’un jour. Cette démonstration de force a également prouvé que les inquiétudes quant à sa blessure au genou après une chute aux Championnats du Monde Route UCI 2018 – qui l’avait forcée à porter une attelle durant tout le mois d’octobre cette année-là – sont loin derrière. En 2019, la capacité de Van Vleuten à gagner sur un terrain aussi difficile et varié que les pistes poussiéreuses des Strade Bianche en Toscane (Italie), les ascensions ardues de Liège-Bastogne-Liège en Belgique en avril ou le contre-la-montre vallonné menant à Teglio lors du Giro d’Italia Internazionale Femminile sur 10 jours en juillet, a confirmé à maintes reprises que la coureuse de Mitchelton Scott ne perd en aucun cas sa polyvalence quand il s’agit de s’imposer.

En 2020, les objectifs majeurs de Van Vleuten ne se porteront pas uniquement sur l’UCI Women’s WorldTour : en plus d’alléchants Championnats du Monde Route UCI très vallonnés pour tenter de conserver son maillot arc-en-ciel en septembre, elle a également une revanche à prendre sur la course en ligne des Jeux Olympiques, une épreuve où elle avait lourdement chuté en 2016 à Rio (Brésil).

Cependant, avec autant de talents dans l’équipe néerlandaise, il faudra certainement attendre de voir Van Vleuten et ses compatriotes s’affronter sur des courses de haut niveau comme les Classiques de printemps ou le Giro Rosa pour déterminer le nom de la leader de l’équipe néerlandaise à Tokyo. Il ne s'agit là, évidemment, que de l’une des nombreuses questions qui agiteront le cyclisme sur route féminin cette saison, particulièrement lorsque deux des autres prétendantes au poste de leader de l’équipe néerlandaise, Vos et Van der Breggen, comptent déjà une médaille olympique de la course en ligne à leur palmarès.

En parallèle, la Boels Dolmans CyclingTeam semble partie pour rester l’une des principales actrices du cyclisme féminin. En 2019, des victoires sur l’Omloop Het Nieuwsblad (remporté cette année par Van Vleuten), la Flèche Wallonne Féminine, l’Amgen Tour of California et le GP de Plouay ainsi que des étapes du WWT Emakumeen XXXII.Bira, de l’OVO Energy Women’s Tour et du Giro d’Italia Internazionale Femminile ont maintenu l’équipe en tête du Classement Mondial UCI pour la quatrième saison consécutive et lui ont permis de décrocher le titre de meilleure équipe de l’UCI Women’s WorldTour 2019, qu’elle détient depuis la création de la série en 2016. Si le total du nombre de victoires de la Boels Dolmans a diminué (38 en 2016 pour 18 en 2019), la valeur de ces triomphes ne peut pas être ignorée.

Dans son histoire, Boels Dolmans totalise désormais 30 victoires sur l’UCI Women’s WorldTour, soit 20 de plus que sa rivale la plus proche, Mitchelton Scott. Il y a donc fort à parier que la formation – avec un partenariat prolongé et qui devrait devenir SD Worx Cycling Team à partir de janvier prochain –, actuellement Equipe Continentale Femmes UCI, fasse partie des formations qui chercheront à accéder au statut d’UCI Women’s WorldTeam en 2021.

Mais la question se posera la saison prochaine. En 2020, le cyclisme professionnel féminin entre dans une nouvelle ère, une ère qui doit continuer d’améliorer les conditions de travail des coureuses et le paysage des compétitions au plus haut niveau. Sur le plan sportif, la concurrence entre coureuses néerlandaises et coureuses d’autres nationalités sera plus passionnante, imprévisible et disputée que jamais. L’année 2020, et à plus grande échelle cette décennie, rassemble tous les ingrédients pour marquer un tournant dans l'histoire du cyclisme professionnel féminin sur route.