A quoi ressemble la journée d'un Commissaire UCI lors d'une grande course sur route ? L'Italien Gianluca Crocetti nous fait part de son expérience. A 50 ans, le Commissaire International UCI originaire de Pontremoli, dans la province de Massa Carrara, en Toscane, était le Président du Jury des Commissaires sur le Tour de France 2019. Il avait notamment dû gérer une situation inédite lors de la 19e étape, lorsque la grêle et des coulées de boue avaient bloqué la route en direction de Val d'Isère. La course avait été arrêtée, et les temps pour le classement général enregistrés au sommet du Col de l'Iseran. Egan Bernal avait alors pris le maillot jaune et l'avait conservé jusqu'à l'arrivée du Tour.
Crocetti était un coureur lui-même, « mais avec de très mauvais résultats », confesse-t-il en riant. « J'ai couru jusqu'à mes 17 ans avec le Velo Sport Pontremoli, puis j'ai suivi la formation pour devenir arbitre régional. J'ai commencé à 18 ans et j'ai évolué des catégories de jeunes aux Elites, en passant par toutes les étapes. »
L'Italien est devenu Commissaire National à 28 ans et a commencé à suivre les courses en moto : « En fait, j'ai essayé pendant trois ans avant de réussir. Heureusement, j'ai reçu le soutien de collègues plus expérimentés et je n'ai pas abandonné. »
Crocetti a suivi le Giro d'Italia et, en 2002, il a connu sa première expérience hors d’Italie, sur la Vuelta Ciclista a España, dans le cadre d'un programme d'échange de Commissaires entre les deux Grands Tours. En 2004, il figurait parmi les cinq juges italiens désignés en 2004 par le responsable pour son pays Gianni Meraviglia pour devenir Commissaire International UCI. Après avoir arbitré depuis une moto de course sur les Championnats du Monde Route UCI de Vérone (Italie), en 2004, il a officié aux Jeux Olympiques de Rio 2016 et a rejoint les courses UCI WorldTour, devenant le premier Commissaire Support-TV lors de Milano-Sanremo en 2018.
Même si le rôle des Commissaires est généralement invisible à la télévision, ces derniers sont mobilisés à tout moment de la journée sur le terrain. Un problème peut surgir à n'importe quel moment, urgent ou non.
Le Jury des Commissaires doit s'organiser pour opérer au plus près des équipes et des coureurs. Ils changent d'hôtels tous les jours et se réunissent au petit-déjeuner et au dîner : « Du matin au soir, on vit comme une famille, raconte Gianluca. Le président du Jury doit toujours créer le bon environnement et souder son équipe pour que tout le monde avance dans la même direction, sur un plan professionnel et individuel. »
Alors, à quoi ressemble une journée type pour un Commissaire sur une course ? « On laisse nos bagages à la réception, et on les retrouve à l'arrivée, explique-t-il. On arrive généralement au départ avec une bonne marge, une ou deux heures avant le départ prévu, et on tient la première réunion importante de la journée avec tous les Juges pour revenir sur l'étape précédente et ajuster certaines choses si nécessaire. On se répartit les missions, on identifie les points clefs, on s'organise pour les sprints intermédiaires, on se prépare en fonction de l'altitude de l'étape et des conditions météo. »
Un autre moment intervient avant l'étape : « On se réunit avec les organisateurs pour voir s'il y a des problèmes. J'ai l'habitude de me promener du côté des bus d'équipes, pour discuter avec les Directeurs Sportifs, plutôt que les coureurs, et en profiter pour revenir sur les amendes de la veille. »
Au moment de prendre le départ, l'équipe des Commissaires se répartit le long du convoi. « Le Président du Jury est avec le Directeur de la course et l'opérateur de radio-tour derrière le groupe principal. Les autres Commissaires sont à l'avant et dans d'autres voitures, généralement derrière la cinquième et l'autre derrière la quinzième. D’autres Commissaires sont sur des motos. Leur nombre et leur position dépendent des règles de la course. Par exemple, sur le Tour de France, il y en a deux à l'avant et quatre derrière, plus deux Chronométreurs et les Juges d'arrivée qui partent devant et relèvent les sprints intermédiaires. »
Pendant la course, les Juges gèrent les enjeux sportifs, des accrochages aux problèmes de parcours, et les problèmes liés par exemple aux voitures d'invités. Il y a aussi un nouveau rôle très important, celui du Commissaire Support-TV : « Il se trouve habituellement dans une salle à l'arrivée, en contact avec l'ensemble du jury par téléphone et par radio. S'il observe une infraction sérieuse qui peut entraîner des disqualifications, ou des irrégularités dans les sprints, il envoie la vidéo aux autres Commissaires, pour prendre des décisions en temps réel. Mais il faut que ce soit un gros problème, comme l'expulsion d'un coureur, ou lorsque des coureurs ont utilisé des pistes cyclables sur le Tour des Flandres. »
A la fin de la course, les juges rallient l'arrivée et se retrouvent dans le camion « VAR », où on leur montre les moments les plus importants de la journée. « On évalue toutes les situations qui peuvent justifier une amende, mais ne sont pas suffisamment graves pour entraîner une expulsion, explique Crocetti. On appelle également les Directeurs Sportifs des coureurs concernés pour leur montrer la vidéo. Toutes les décisions qu'on prend à ce moment sont irrévocables, donc on prépare un communiqué qui est diffusé auprès des médias. Ensuite, on va à la permanence de la course. »
Les Commissaires reviennent alors sur l'étape avec les organisateurs. « On les informe des irrégularités et on discute de tout ce qui peut être amélioré, nous dit Crocetti. C'est une très bonne manière de développer une bonne relation avec les organisateurs ; on est dans le même bateau et on doit tirer à la même corde. Une bonne collaboration permet de surmonter toutes les difficultés. »
Comment Gianluca Crocetti se souvient-il du dernier Tour de France et de ce jour où, en tant que Président du Jury des Commissaires, il a dû stopper la 19e étape sur le col de l'Iseran ?
« C'était une situation extrême, mais on a réussi à la gérer de la meilleure manière possible. En quelques minutes, on a pris cette décision importante : il n'y a pas eu besoin de parler beaucoup, parce qu'on est allé droit à l'essentiel. A chaque fois que je pense à cette journée, je suis très fier de mon équipe, parce que tout le monde s'est donné à 100 %. On n'avait aucun outil électronique, donc on a pris les temps manuellement. Et cette journée est devenue déterminante pour le classement général. »
Une fois dans la vallée, les Commissaires ont travaillé avec Tissot pour réviser tous les classements, et personne ne s'est plaint de cette décision : « Tout le monde était d'accord pour dire que c'était la bonne décision. Dans la descente du col de l'Iseran, on avait parlé avec les coureurs pour leur expliquer ce qui se passait, parce qu'ils ne pouvaient pas imaginer ce qui les attendait dans seulement dix minutes. Les conditions météo n'étaient pas aussi impressionnantes à cet instant de la course. »
Cette situation extrême montre à quel point il est fondamental que le travail du Jury des Commissaires soit complètement fluide et coordonné. Leur mission reste prépondérante après la course. « Pendant le dîner, on essaie de manger tous ensemble, pour préparer la journée suivante, mais aussi pour évacuer le stress et se détendre un peu. »
Et pendant les journées de repos ? « Il y a souvent un grand transfert, mais c'est une de nos rares chances de passer un peu de temps avec les arbitres à moto, qui dorment souvent dans un autre hôtel assez éloigné. Il y a toujours des problèmes à régler pour les jours suivants, puis le Président du Jury prend un peu de temps pour préparer le rapport pour l'UCI. »
Gianluca Crocetti n'est pas seulement Commissaire International Route UCI ; il a également une compagnie d'assurance, où il applique la même philosophie : « J'ai des collaborateurs fantastiques à qui je fais confiance les yeux fermés pour gérer l'agence quand je suis absent sur les courses. »
Ce n'est pas une coïncidence : c'est l'esprit du cyclisme, où toute l'équipe travaille ensemble pour assurer de bons résultats.