Il semble y avoir un intérêt marqué du public pour obtenir de plus amples informations sur les raisons pour lesquelles l'affaire a été classée. D'après des rapports publics, le Dr Olivier Rabin, Directeur Exécutif Senior, Sciences et partenariats internationaux de l'Agence Mondiale Antidopage (AMA), a déclaré que des informations plus détaillées devraient venir de l'Union Cycliste Internationale (UCI). Pouvez-vous donner davantage d’informations sur ce qui a déjà été dit publiquement par l'AMA et M. Froome ?
L'UCI confirme qu'elle a classé l'affaire principalement sur la base de l’avis des experts de l'AMA, mais aussi après avoir effectué sa propre analyse du cas pour déterminer si la conclusion de l'AMA était justifiée.
En ce qui concerne l’UCI, les éléments déterminants de l’affaire, lesquels sont apparus à la suite des étapes initiales de procédure, ont été les suivants : i) suite à la phase probatoire, M. Froome demande des informations à l’AMA à la fin janvier 2018. Il reçoit une réponse de l’AMA au début du mois de mars 2018; (ii) à la fin mars 2018, M. Froome envoie une requête formelle à l’AMA pour obtenir de plus amples informations sur le régime du salbutamol de la part de l’AMA. Le 15 mai 2018, l’AMA transmet à M. Froome les informations requises ; (iii) le 4 juin 2018, M. Froome fournit ses explications à l’UCI ; et (iv) le 28 juin, l’AMA transmet à l’UCI sa position sur le cas.
Les facteurs principaux pour la décision de l'UCI ont été :
(i) D'abord, évidemment, la position de l'AMA : Le département scientifique de l’AMA a accès à des informations auxquelles l'UCI n'a pas accès, y compris des études en cours et non publiées sur l'excrétion du salbutamol (laquelle – comme le confirme le Directeur scientifique de l’AMA – est sujette à des variations). Dans ces circonstances, l'UCI ne pouvait évidemment que faire confiance à l'appréciation de l'AMA quant à la question de savoir si le contrôle de M. Froome constituait une violation des règles antidopage adoptées par cette même AMA. Poursuivre l’instruction de l’affaire alors que l'autorité mondiale de contrôle antidopage –- qui est l'entité qui promulgue les règles et les tests – indique qu'il n'y a pas de violation n'était tout simplement pas envisageable. Selon l’UCI, il ne serait pas juste de poursuivre la procédure contre M. Froome, considérant la position de l'AMA selon laquelle celui-ci n'a pas commis de violation des règles antidopage.
(ii) Le deuxième élément clé était l’entrée en vigueur le 1er mars 2018 du nouveau Document Technique de l'AMA (AMA TD2018DL) : Il est important de rappeler qu’en vertu du Document Technique (dans sa version en vigueur en septembre 2017 et à ce jour), seul une concentration de salbutamol supérieure à 1'200 ng/ml dans un échantillon doit être rapportée en tant que résultat non conforme. Le nouveau document de l’AMA en vigueur depuis mars 2018 permet en outre d'augmenter la limite de décision du salbutamol au-delà de 1200 ng/ml en fonction de la gravité spécifique de l'échantillon, et vise à tenir compte de l'état d'hydratation de l'athlète. Comme le Professeur Kenneth Fitch l'a déclaré publiquement, cet élément n'avait pas été pris en compte lorsque le régime du salbutamol a été mis en place. Dans le cadre de la procédure concernant M. Froome, il est également apparu que l'AMA aurait été encline à accepter un ajustement supplémentaire pour tenir compte de l'incertitude de mesure.
(iii) Troisièmement, les rapports d'experts de M. Froome : Ayant été testé 21 fois pendant la Vuelta Ciclista a España, M. Froome a eu accès à la concentration estimée de salbutamol dans son urine sur trois semaines. Cela lui a permis de démontrer une variation significative dans la façon dont il a excrété le salbutamol, même à des doses faibles et constantes. Compte tenu du fait qu'il a considérablement augmenté sa dose de salbutamol (pour traiter une infection pulmonaire) peu de temps avant le contrôle en question, l'AMA a accepté que cette variation individuelle puisse expliquer les résultats analytiques de son échantillon du 7 septembre 2018. Dans ces circonstances, une étude pharmacocinétique contrôlée n'était pas nécessaire pour clôturer le dossier, car l'excrétion individuelle de M. Froome pouvait déjà être évaluée à partir des données existantes.
(iv) Le contexte spécifique de la substance et de l'affaire : La réalité est que le salbutamol est autorisé à des fins thérapeutiques et que M. Froome utilise le salbutamol pour traiter l'asthme. En outre, M. Froome pouvait s'attendre à être (et était) testé presque tous les jours de la Vuelta Ciclista a España. Ces éléments contextuels ne sont pas concluants, mais sont évidemment des éléments à prendre en compte pour accepter la position de l'AMA.
(v) De nouvelles études commandées par l'AMA : Au cours de la procédure, l'AMA a confirmé que des études sur l'excrétion du salbutamol étaient en cours et pas encore publiées. Etant donné que les études n'étaient pas encore finalisées, ni l'UCI ni M. Froome n'y avaient accès. Toutefois, cela a constitué un autre facteur pris en compte pour accepter la position de l'AMA.
Qu'en est-il des choses que l'UCI n'a pas considérées comme des facteurs pertinents ?
L'UCI tient à préciser qu’elle n’a pas fondé sa décision sur les facteurs suivants qui ont été mentionnés par le Directeur Exécutif Senior, Sciences et partenariats internationaux de l’AMA dans ses récentes déclarations : le fait que M. Froome « ait pris un certain nombre de médicaments pour traiter [une infection] », « d'autres éléments liés à son alimentation » ou « compléments alimentaires ». L'UCI a considéré ces facteurs comme non pertinents et/ou non établis et s’est donc uniquement fondée sur les autres facteurs énumérés dans la section précédente de ce document, mais il est possible que l'AMA ait eu accès à des informations non publiées que l'UCI ignore.
L'UCI confirme également que lors de la phase probatoire, elle n'a pas accepté les réquisitions de M. Froome de soumettre ses échantillons à diverses analyses dans le but de tenter de déterminer si les facteurs mentionnés directement ci-dessus avaient eu un impact sur la manière dont M. Froome avait excrété le salbutamol. L'UCI a estimé que les hypothèses mises en avant par M. Froome étaient purement spéculatives et, de ce fait, ne justifiaient pas que l’on procède aux nombreuses analyses supplémentaires d’échantillons requises par M. Froome. L'UCI a consulté l'AMA avant d’adopter cette approche procédurale.
L'UCI souhaite également préciser qu'elle n'a pas fondé sa décision sur la récente étude du « British Journal of Clinical Pharmacology » intitulée « Futility of current urine salbutamol doping control » (« Futilité du contrôle actuel du dopage urinaire du salbutamol »). Si l'UCI a examiné cette étude dans le cadre de son évaluation, elle n'a pas été déterminante dans la décision.
Comment réagissez-vous aux allégations selon lesquelles l’UCI est responsable des délais dans cette affaire ?
L'UCI a déjà fait savoir qu'elle aurait aimé résoudre l'affaire beaucoup plus tôt, mais il était essentiel de prendre le temps nécessaire pour prendre la décision correcte. Il convient de rappeler que la procédure a débuté par une phase probatoire lors de laquelle le Tribunal Antidopage de l’UCI s’est prononcé sur les demandes de M. Froome qui avaient pour but d’obtenir des informations supplémentaires ainsi que des analyses additionnelles sur ses échantillons Puis, il convient de réitérer que les éléments qui se sont avérés déterminants pour la décision de l’UCI ont été apportés par M. Froome seulement à la suite de sa demande d’information concernant le régime du salbutamol auprès de l’AMA au mois de mars 2018. L'affaire a évolué au cours de ces différentes phases de la procédure au fur et à mesure que de nouvelles informations ont été révélées, mais les parties ont agi aussi efficacement que possible dans le traitement de l'affaire.
Enfin, l'UCI a pris note du propos du Directeur scientifique de l’AMA selon lequel les délais dans cette affaire sont « une question pour l'UCI », considérant que c’est cette dernière qui a géré les interactions avec les avocats de M. Froome. Si cette déclaration a été rapportée correctement, cela serait décevant. L’UCI a consulté l’AMA et a demandé son avis sur l’affaire tout au long de la procédure. En vertu du Règlement antidopage de l’UCI (RAD UCI) et du Code de l'AMA, l'AMA avait le droit de porter l’affaire directement auprès du Tribunal Arbitral du Sport (TAS) si elle estimait que l'UCI tardait à rendre sa décision. L'AMA n'a pas fait usage de cette possibilité.
Comment réagissez-vous aux allégations selon lesquelles d'autres athlètes ont été traités injustement dans la résolution de leurs procédures liées au salbutamol ?
L'UCI partage les commentaires publics de l’AMA selon lesquels chaque cas a été traité en fonction de ses aspects individuels. Cependant, l'UCI souligne également que chaque cas d'antidopage doit être traité conformément à la réglementation en vigueur et à l’état des connaissances scientifiques du moment.
Le régime du salbutamol de l’AMA a évolué au fil des ans, y compris dans le dernier document technique de l'AMA. L'UCI n’a pas connaissance des évidences scientifiques qui ont conduit aux derniers développements, mais considère que c'est une bonne chose que l'AMA soit prête à améliorer constamment ses processus même si cela peut soulever des questions quant aux cas antérieurs. L'alternative – éviter le changement simplement pour éviter les critiques – serait beaucoup plus préoccupante.
L'UCI a également pris note d'un nombre important de commentaires sur une prétendue inégalité de traitement dans les affaires de M. Alessandro Petacchi et de M. Diego Ulissi. De tels commentaires sont inexacts pour plusieurs raisons. Tout d'abord, ces deux cas ont fait l’objet d’une décision avant que l'UCI ne mette en place son Tribunal Antidopage indépendant, ce qui signifie qu'ils ont fait l’objet d’une décision au niveau national, avec la possibilité pour l'AMA et l'UCI de faire appel de la décision devant le TAS. En outre, l'UCI note ce qui suit :
o M. Petacchi a été initialement exonéré par la Commission de Discipline de la Fédération Italienne de Cyclisme, et l'affaire a ensuite été traduite devant le TAS suite aux appels déposés par l’AMA et l’Organisation Antidopage de l’Italie. Il convient de signaler que les arbitres du TAS ont tranché l'affaire sur la base de la réglementation applicable et des évidences scientifiques disponibles à l’époque (qui ne prévoyaient pas de correction pour la gravité spécifique ou d’étude pharmacocinétique contrôlée). M. Petacchi a déclaré publiquement qu'il était heureux que M. Froome ait été blanchi « parce que cela l’innocente rétrospectivement ». On ne peut exclure que l'affaire de M. Petacchi aurait été jugée différemment si elle était entendue aujourd'hui. Toutefois, l'UCI souligne que dans une autre affaire traitée la même année au niveau national, un coureur soupçonné d'une violation des règles antidopage en lien avec le salbutamol a été acquitté sur la base de preuves scientifiques.
o Les allégations d'inégalité de traitement sont également incorrectes dans le cas de M. Ulissi. L'UCI n'était pas impliquée dans la procédure disciplinaire le concernant, qui a été diligentée par l'Agence suisse antidopage. Tel que mentionné ci-dessus, l’affaire a été traitée selon les données individuelles du cas d’espèce, et l’UCI n’est pas en mesure de fournir de plus amples détails sur le cas. Ni l'UCI ni l'AMA n'ont fait appel de la décision.
Bien que les conclusions des cas ci-dessus soient différentes, l'UCI doit souligner que chacun des athlètes concernés a eu accès à un procès équitable, conformément aux exigences du Code de l'AMA et au Règlement antidopage de l'UCI.
L'UCI souhaite également souligner à l’attention de tous les coureurs impliqués dans des procédures antidopage que :
o les procédures devant le Tribunal Antidopage de l’UCI ne sont pas soumises à des frais (sauf exceptions spécifiques) ; o les appels des décisions rendues par le Tribunal Antidopage au TAS sont gratuits ; o pour les athlètes qui ne disposent pas des moyens financiers suffisants, il est possible de demander l’assistance juridique devant le TAS, qui permet notamment de bénéficier des services d’avocats spécialisés travaillant à titre gratuit (pro bono).
Enfin, comment réagissez-vous aux critiques concernant la déclaration de l'UCI selon laquelle elle espérait que le monde du cyclisme pourrait tourner la page sur cette affaire et profiter des prochaines courses ?
L'UCI comprend une telle critique, en particulier lorsqu'elle provient de commentateurs établis. En faisant cette déclaration, l'UCI voulait simplement transmettre le message suivant :
o le dossier de M. Froome a été clôturé suite à un examen approfondi par l'AMA et l'UCI ainsi que par leurs experts respectifs, et o le débat public sur cette affaire ne devrait pas occulter le sport lui-même, notamment parce que la décision correcte a été prise.
L'UCI espère que les clarifications présentées dans ce document contribueront à rassurer le public sur le fait que sa décision était justifiée, mais comprend que le cas suscite de plus amples débats. Le plus important, cependant, réside dans le fait que les cyclistes professionnels ne soient pas affectés négativement par ces discussions, notamment en termes de sécurité et de droit de participer aux épreuves du sport qu'ils aiment. Tel était le message prévu au cœur de la déclaration de l'UCI.
Enfin, dans le même registre, l'UCI comprend que le public aimerait obtenir les données spécifiques et les rapports d'experts de l'affaire afin de se faire sa propre opinion sur la question de savoir si l'AMA et l'UCI ont pris la bonne décision. En tant que signataire du Code de l'AMA, l'UCI souhaite rappeler qu'il y a des raisons importantes justifiant le fait que l'AMA ne publie pas d'informations sur ses méthodes analytiques et ses limites de décision. Si elle le faisait, ces informations pourraient être exploitées à des fins abusives par les athlètes dans le but d’améliorer illégitimement leur performance.
L'UCI n'a pas l'intention de divulguer publiquement des informations spécifiques sur cette affaire, mais elle comprend que l’AMA a confirmé que toutes les informations pertinentes seront envoyées aux comités d'experts de l'AMA pour déterminer s'il y a lieu d'apporter des modifications au régime du salbutamol. L'UCI demandera également officiellement à l'AMA des directives sur la manière dont les futurs cas de salbutamol devraient être traités en tenant compte des preuves scientifiques les plus récentes.
Enfin, l’UCI continuera d’être à l’avant-garde de la lutte contre le dopage et de proposer des innovations pour améliorer l’efficacité de notre action collective pour garantir un sport propre. Les annonces récentes du Comité Directeur de l’UCI sur le Tramadol et les corticoïdes affirment une volonté politique forte dans ce domaine. Pour ce faire, l’UCI collaborera efficacement avec l’AMA.